Sagesse chrétienne
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Voici un article que je viens de lire sur le site que tu aimes bien, « Riposte Laïque », à propos d’un tweet du Pape. Je ne sais pas si l’auteur est également le gestionnaire de ce site, toujours est-il qu’il cherche un peu des poux sous la calotte de sa sainteté. A force de vouloir être plus papiste que le pape, on finit par sortir des ornières du philosophiquement correct. C’est en tout cas l’impression que j’ai eue en lisant son commentaire procédurier. Je te livre les quelques réflexions qui me sont venues à l’esprit.  


Le journaliste commençait son article en ces termes :  "Le compte tweeter en Français du pape François vient de poster le tweet dont nous vous donnons la photo. Ce tweet a déclenché une petite discussion orthographico-métaphysique : "Travailler est le propre de la personne humaine. Cela exprime sa dignité d’être créé à l’image de Dieu".  

Je peux, si tu as quelques minutes devant toi, à mon tour chipoter en reprenant les points intéressants de l’argumentation de l’auteur afin de te montrer que, selon ce que j’ai cru comprendre, les choses ne sont pas aussi simples qu’il le pense dans des matières effleurant la métaphysique et la notion de personne humaine, laquelle par nature participe en quelque sorte au mystère divin. Je reprends en italique les passages intéressants de cet article : 

 « Existence signifie se tenir au-dessus du néant » : Pas tout à fait, en latin classique existere signifiait « sortir de », puis au sens figuré « paraître », « se manifester » donc connotation d’origine. Puis au IVème : propriété de ce qui est ou existe ; avec Descartes : sens actuel.   

« En effet, en rigueur de termes, ce n’est pas la personne humaine qui est créée, mais l’être. Or l’être est un composé d’essence et d’existence » : en rigueur de terme, il ne faudrait pas dire « l’être », qui pourrait se confondre avec l’être en général, mais un étant (ens), sauf que le mot n’appartient pas au vocabulaire courant du français, on excusera donc le critique du tweet papal. L’auteur va certes préciser sa pensée de façon correcte juste après en précisant, mais sans le dire clairement, qu’il parle de ce qu’on appelle dans le jargon thomiste d’un ens, être concret réellement existant. 

 « Or l’être est un composé d’essence et d’existence » : il vaudrait mieux parler de composition d’essence et d’être (esse). Saint Thomas utilise esse en décrivant la composition de l’esse avec l’essentia. L’être existe en vertu de l’addition de son esse à son essentia.  

« Il faut à tout être à la fois ce qui le différencie des autres espèces, l’essence (du latin esse, être) et l’existence » :
Essence = substance en tant que conçue comme une et définie, être par soi la substance en tant que susceptible de définition. C’est ce que la définition dit de la substance. Exprimée par la définition, elle se nomme la quiddité. L’essence apporte la détermination complémentaire à la notion « d’être par soi ».  

Est-ce bien l’essence qui différencie les espèces entre elles ? Pour être plus précis, peut-être vaut-il mieux parler de « forme ». Elle est ce qui rend possible la connaissance conceptuelle de la substance dans le réel (les qualités des choses, une propriété remarquable des substances est d’être distribuable en classes, dont chacune est l’objet d’un concept, lui-même exprimable par une définition). C’est en vertu de cette forme qu’une substance se classe dans une espèce déterminée, dont la définition exprime le concept.

« Il ne crée pas seulement la nature humaine » : strictement parlant Dieu ne crée pas la nature humaine, ni l’espèce humaine. L’espèce n’existe pas comme telle. « Homme » n’est pas une substance, les seules substances que nous connaissons sont des individus.  

« Aussi n’est-ce pas la personne humaine qui est créée, mais un être de l’espèce humaine à qui appartient en propre le fait d’être une personne » : 
 Mais qu’est-ce qu’une personne humaine ? Selon Boèce elle est « la substance individuelle d’un être raisonnable ». Les substances sont les vrais êtres particuliers. Pris dans leur subsistance concrète, les substances sont des individus. Certains individus se distinguent par leur source autonome d’actions spontanées. L’homme doué de raison est capable d’appréhender une multiplicité d’objets différents, avec une possibilité de choix. Sa rationalité est le principe de sa liberté. Il est maître de ses actes, il agit plus qu’il n’est agi. Pour désigner l’individualité propre d’un être libre, on dit que c’est une personne.   

La personne est posée dans l’existence du seul fait qu’un intellect, principe de détermination libre, est uni à une matière, pour constituer une substance raisonnable.  

La personnalité est la marque propre de l’être au plus haut point de perfection. A partir du christianisme ce n’est plus seulement l’homme, c’est la personne humaine qu’il faut dire. Dire homme, personne humaine, individu de nature raisonnable, c’est la même chose.  


« Ce qui fait l’individu, pour les êtres non spirituels, est précisément la matière» : pas seulement la matière, mais la matière et la forme ensembles. La matière ne fait pas l’individu, elle distingue les représentants d’une même espèce entre eux. 


 « Il faut donc ces trois éléments, existence, essence et matière, pour créer un être » : Parler d’essence et de matière prête à confusion. Mieux vaut utiliser le terme de "forme" comme déjà dit plus haut.  


« Ce qui spécifie les anges étant leur fonction »:  Non, strictement parlant ce n’est pas la fonction, mais l’action, elle-même dépendant de la grâce reçu par Dieu, qui distingue les anges entre eux. L’action propre de ces êtres est l’acte d’"intelliger". C’est la différence de leur mode propre d’intelligence qui fonde les ordres angéliques. Moins un ange a besoin d’espèces innées pour illuminer son intelligence, pour appréhender l’universalité des intelligibles, plus il sera élevé (plus grande proximité ou ressemblance avec Dieu). Les anges sont aussi des individus, ils ne constituent pas une espèce au sens logique du mot, mais un véritable individu quoique unique pour chaque espèce. Ce n’est pas une espèce qui contient un seul individu, mais un individu qui constitue à lui seul une seule espèce.  


« L’être humain ne se réduit pas à sa personne et la dignité de l’être humain n’est pas réduite à la seule dimension de sa personne. Son corps porte la même dignité. L’homme n’est pas que « personne » et le développement de tout l’homme suppose aussi le développement du corps » : 
 Beaucoup de confusions dans ce passage. «L’être humain ne se réduit pas à sa personne », la formule ne veut pas dire grand-chose. L’être humain est une personne, comme on l’a dit plus haut, la définition de la personne est celle d’un individu doué de raison. C’est comme dire : l’homme ne se réduit pas à l’homme ou l’individu ne se réduit pas à l’individu. L’homme est constitué par son acte d’existence comme personne douée de raison. Il valait mieux dire l’être humain ne se réduit pas à son âme ou son intelligence ou à sa raison. En effet, l’homme est un composé d’une âme et d’un corps. Opposer la personne au corps est un non-sens. L’expression « L’homme n’est pas que personne» renouvelle la même confusion. Si, l’homme n’est qu’un homme, ou qu'une personne, ce qui revient à dire la même chose, mais ce n’est déjà pas si mal.  

« Le corps porte la même dignité (que la personne) » : 
 Terminologie encore impropre. Car la personne inclut le corps tout comme l’âme. De même que dire que « ce qui fait l’individu, pour les êtres non spirituels, est précisément la matière ». Il faudrait déjà dans un premier temps distinguer « l’individualité » de « l’individuation ». La matière est en effet le principe de la dernière. La distinction matérielle est celle qui fait qu’un individu se distingue d’un autre individu. La forme est de même nature pour tous les individus de la même espèce (sinon pas d’espèce humaine), pas la matière qui les individualise. 
Cependant, la forme est "principe d'excellence et de perfection" nous dit saint Thomas dans la Somme de Théologie (I-II, 85,6). De plus, "l'union de l'âme au corps, en effet, n'existe pas en raison du corps, mais de l'âme, car la forme n'est pas pour la matière, mais la matière pour la forme" et "la forme constitue plus la nature que la matière, ce qui est naturel selon la forme l'est davantage que ce qui l'est selon la matière" (Du Mal, qu.5, art.5). Il est difficile de soutenir pour un thomiste que la matière et la forme, ou le corps et l'âme, portent la même dignité absolument parlant.

De même, la matière est selon Aristote inférieure à la forme, comme la puissance à l’acte. La distinction matérielle est là en vue de la distinction formelle, donc les individus en vue de l’espèce.  

L’humanité est en chaque homme, et l’espèce humaine existe parce qu’il y a des hommes. 

 Un homme est distinct de tout autre homme, et ne peut se diviser sans se détruire, alors que l’espèce peut se diviser en plusieurs individus sans perdre sa nature. 

 Dans le composé humain, est-ce la matière incommunicable à titre d’étendue qui fait de nous un exemplaire unique en soi et irréductible à tout autre, le caractère propre et précieux de ce que nous nommons notre personnalité ? Certes il n’y aurait pas d’individus sans le corps humain mais de cela résulte-t-il que notre dignité vienne du corps et en définisse l’originalité ?  

Il n’y a pas de substance sans matière, mais la substantialité du composé humain est celle que la forme communique à sa matière. La forme de l’homme ne peut pas subsister seule comme un sujet individuel, mais la qualité de la substance appartient au sujet en vertu de sa forme, car c’est elle qui donne à la matière son être actuel et permet à l’individu de subsister. C’est l’âme qui donne l’être au corps et non le corps à l’âme. Donc le principe d’individuation est la matière, elle cause l’individualité ; mais ce n’est pas dans sa matière que l’individualité de l’individu consiste ; au contraire, il n’est individuel (indivisé en soi et divisé du reste) que parce qu’il est une substance concrète prise comme un tout. La matière individuante n’est telle qu’en vertu de son intégration à l’être de la substance totale, et comme l’être de la substance est celui de sa forme, il faut que l’individualité soit une propriété de la forme autant que de la matière. Et même plus, car c’est la forme qui, dans la substance, est source de la substantialité. Une fois individualisée par la matière, c’est la forme qui est individuelle. C’est la subsistance de la forme individuelle qui, en conférant à la matière sa propre existence, permet à l’individu de subsister (la matière existe en vue de la forme et non l’inverse). Le Dieu chrétien crée les formes pour elles-mêmes et ne crée les matières diverses que dans la mesure où elles sont requises par la diversité propre des formes. (Compend. I, 71)  

Il faut poser le problème de l’individuation au plan métaphysique. Le thomisme dit que la matière est principe et rien d’autre. Les différences individuelles et originales de chaque être concret sont rendues possibles par la matière mais elles procèdent de sa forme à qui seule appartient de donner l’acte.  

Bien que l’homme seul mérite pleinement le nom de substance (pas le corps seul ou l’âme seule), c’est à la substantialité de son âme qu’il doit toute sa substantialité. Le corps, bien que l’âme ne puisse développer sans lui la plénitude de son actualité, n’a d’actualité ni de subsistance que celle qu’il reçoit de sa forme, c’est-à-dire de son âme.  La dignité de l’individu lui vient principalement de sa forme. Les animaux sont des individus et non des personnes (ils ont aussi un corps qui les individualise). Etre une personne, c’est participer à l’une des dignités les plus hautes de l’être divin. Grâce à la raison, il a une activité théorique et pratique, il acquiert des connaissances et exerce une moralité.  

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