· J'ai pensé à toi en relisant ce matin un passage sur la définition de la foi. Donc en ce qui concerne ta remarque sur la foi dans ton dernier mail, voici un ajout important: la foi est "une vertu surnaturelle par laquelle nous croyons fermement toutes les vérités que Dieu a révélées, non pour en avoir perçu par la lumière naturelle de la raison, la vérité intrinsèque, mais sur l’autorité de Dieu même qui révèle et qui ne peut ni se tromper ni nous tromper ». Selon cette définition d'un manuel de doctrine catholique très sûr, tu vois bien que l'essentiel est avant tout le mouvement d'adhésion à la nature de ce que Dieu est. La fin de la citation est une reprise d'un point établi par la "Constitution De Fide" du Concile Vatican I. Il ne t'aura pas échappé la ressemblance avec l'argument que Descartes, que tu aimes tant, avance dans ses "Méditations Métaphysiques" et qui sert de fondation à la solidité de sa philosophie: Dieu ne peut ni se tromper ni nous tromper.
Par conséquent, ce n'est pas parce que tu ne saisis pas par la voie de la lumière naturelle toutes les subtilités de la foi, que ta foi n'existe pas. Il te faut d'abord être persuadé que Dieu existe et qu'il s'est manifesté dans l'histoire, d'abord par le peuple juif puis par son propre Verbe divin.
Il ne faut pas confondre le motif de la foi, qui n'est "ni l’évidence ni la vérification possible des vérités qui nous sont enseignées", mais "le témoignage ou, comme dit le Concile du Vatican, l’autorité de Dieu."
Autrement dit, "tout acte de foi peut donc se formuler ainsi : je le crois parce que Dieu l’a révélé et que Dieu est la vérité souveraine, incapable de se tromper et de nous tromper. L’acte de foi suppose donc établi le fait même de la révélation. Il est évident qu’on ne peut croire à une personne que si on est certain auparavant que cette personne a parlé." L'important est donc la reconnaissance de la révélation, sa non-contradiction, sa rationalité, son authenticité historique.
L'effort porte ainsi davantage sur ce qu'on appelle les "motifs de croire" ou de "crédibilité", et c'est l'apologétique qui répond à cette enquête préliminaire qui va rendre plus facile l'acte de foi.
Il y a une propédeutique à la foi, on peut (et on doit) s'y préparer, mais la foi reste un don de Dieu, don qu'il faut demander et qu'on recevra nécessairement à force de la faire (car Dieu n'attend que ça), voilà ce que signifie le fameux "frappez et l'on vous ouvrira" du Seigneur. Il me semblait important de te dire cela, car de mon côté ces précisions m'aident à y voir plus clair.
· Merci pour ton mail sur la foi. Très intéressant même si je ne t'ai jamais caché que le Dieu cartésien m'effrayait par sa toute-puissance (et notamment sa liberté absolue). A propos de la liberté chez Descartes d'ailleurs, je ne sais pas pourquoi on définit toujours Descartes comme le penseur de la liberté absolue. Quand on lit la lettre au Père Mesland dont j'ai oublié la date, il définit TROIS libertés, dont la liberté humaine est comme rationnelle, c'est-à-dire guidée par la raison, qui m'a longtemps fait penser à une anticipation de la liberté déterminée de Leibniz. Reste à savoir si cette pensée est compatible avec le libre-arbitre catholique. J'y reviendrai là encore textes à l'appui. Dommage qu'on habite si loin... Par écrit, je suis tenté de remettre à plus loin.
· Pour ce qui concerne Descartes, tu as tout à fait le droit d'être effrayé par la toute-puissance de son Dieu, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la crainte de Dieu est le début du mouvement de la conversion d'après St Bernard. On ne peut pas commencer par l'amour gratuit de Dieu, cela est la dernière étape. L'amour pur, la charité parfaite que peu atteignent ici-bas, représente le couronnement d'un long cheminement de purification.
Pour finir, la liberté du Dieu cartésien n'est pas celle du Dieu de St Thomas ou tout simplement du Dieu catholique. Il y a confusion sur la notion de toute-puissance de Dieu qui est indissociable de ce que Dieu est. Comme Dieu est acte pur d'Etre, son essence n'est pas autre chose que son être (ou si tu veux son essence c'est son "exister"), comme l'est son intelligence (son acte d'intelligence est sa substance même) et sa volonté (l’amour divin n’est que la volonté divine du bien, qui n’est elle-même que l’"esse" de dieu,). Il est autant l'être que la vérité, puisque celle-ci dépend de celui-là. En Dieu, il ne peut absolument pas y avoir de contradiction, car l'Etre pur, par définition est simple, sans aucune composition, sans aucune division. Dieu ne peut pas faire que le bien soit le mal, car le bien est un aspect de l'être: c'est l'être même en tant que désirable (voir l'Ethique d'Aristote: "le bien est ce que tout désire"). La seule chose que Dieu ne peut pas vouloir, c'est ce qui n'est pas une chose, c'est-à-dire le contradictoire. Donc quand Descartes dit que Dieu peut faire qu'un triangle soit un cercle, cela ne correspond pas au Dieu de St Thomas, car cela est contradictoire, cela s'oppose au réel, aux lois universelles de la création qui a été faite avec poids, ordre et mesure. L'univers est rationnel car il sort de la pensée de Dieu qui est l'Être infiniment intelligent.
De même que Descartes se trompe d’après plusieurs, en disant que Dieu est cause de son vouloir. Ni la volonté de Dieu, ni sa connaissance n'ont de cause. La bonté de Dieu étant parfaite, rien ne l'accroît de l'extérieur. Dieu se veut et se connait nécessairement lui-même, et c'est comme cela qu'il veut et connait tout le reste. La volonté de Dieu est immuable, et s'il veut quelque chose rien ne le contraint de dehors, rien n'introduit en lui une nécessité véritable. Contrairement à l'homme, Dieu veut dans un acte unique à la fois la fin et les moyens, et du coup la volonté de la fin ne cause pas la volonté des moyens. En voulant transposer à Dieu, la façon dont l'homme connait et veut, on finit par introduire en Dieu la notion de causalité seulement valable pour l'homme. L'homme connait la conclusion en passant par les principes, de même que chez lui, le choix des moyens est causé par la volonté de la fin (finalité). Tout ce jargon et ces arguments aristotélico-thomistes que je puise largement chez Gilson peuvent te paraître abscons et arides, mais ils expriment des choses tellement belles et sages, que je te les livre. Tout ça pour te dire que Descartes ne doit pas te faire trébucher sur ton chemin. Sa notion de toute-puissance et de liberté divine n'est pas le dernier mot théologique ni même philosophique. Il faudra plus de temps pour montrer comment la liberté de Dieu, sa toute-puissance et son omniscience (dont tu vois qu'elle ne peut pas empêcher la liberté de l'homme puisque cela contredirait l'essence même de la créature qu'il a lui-même voulu intelligente et volontaire, et donc douée du libre arbitre, or la seule limite à sa toute-puissance, qui découle de ce qu'il est, est le principe de non-contradiction) ne suppriment pas la liberté de l'homme. Nous en avons longuement parlé par le passé, t'en souviens-tu? Mais rien ne remplace l'écriture pour remettre ses idées en place et les mémoriser. Nos échanges d'alors se sont évaporés dans l'opacité du temps qui s'écoule.