Sagesse chrétienne
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Nous entendions hier à la radio au sujet de la décision d'arrêter de nourrir et d'abreuver Vincent Lambert, qu'elle allait permettre qu'il s'en aille dans le "silence et la dignité". C'est pousser assez loin le cynisme quand, en plus d'envoyer cet homme rejoindre un Maximilien Kolbe dans le "bunker de la faim", on sait qu'il ne parle plus et qu'il ne pourra pas dire un seul mot pour défendre sa cause, ni pousser un seul cri. Quant à la fameuse "dignité" dont on nous rabat les oreilles, on peut se demander si ce mot répété en boucle sur les médias a encore un sens. Pour reprendre un magnifique barbarisme prononcé hier également par une journaliste, ce mot est-il "entendable", ou tout du moins est-il compris correctement ? Sait-on que le latin dignus est synonyme de "mérite", puisque mereri signifie "être digne de". Dire que cette fin de vie est "digne" équivaut à dire qu'elle a du mérite, qu'elle est digne de récompense, qu'elle est digne d'éloge ou moralement estimable. La dignité est corollaire à la récompense, elle est la louange due à un comportement moral élevé. Si l'on estime que M. Lambert finit sa vie dignement, c'est donc que la société lui reconnait une fin de vie exemplaire, ou que sa situation la mérite. Qu'a donc fait M. Lambert pour mériter un tel sort? Rien. Ou plutôt, c'est parce qu'il ne fait rien, selon des critères utilitaristes qu'il ne mérite plus de vivre.   


Vincent Lambert est un nouveau Socrate, mis à part que ce dernier avait encore le pouvoir de répondre à ses adversaires et a volontairement bu la ciguë, ce "poison d'Etat". Vincent, lui, aimerait bien boire tout court, mais pas un poison. Dans le cas présent, ce n'est pas seulement le condamné qui boit le poison de la sédation, c'est la société tout entière qui boit le poison du relativisme et du sophisme philosophique appelé communément "la bien-pensance", sédatif très puissant qui enlève tout jugement propre.  Aussi, on nous dit que M. Lambert est "en fin de vie", traduisez, on va l'aider à atteindre la fin de sa vie. Car Vincent est encore jeune et ne souffre pas d'une maladie comme le cancer, la sclérose en plaque ou encore la leucémie. Non, M. Lambert n'est pas malade. Son corps n'est pas rongé par un mal qui le détruit de l'intérieur, ses cellules ne dégénèrent pas de façon irréversibles. Certes, son corps a été endommagé et M. Lambert semble se retrouver mentalement comme un petit nourrisson dont la faculté intellectuelle est là mais encore seulement en puissance, car l'organe dont elle va se servir, le cerveau, lui n'est pas encore assez développé. Il ressemble plus finalement à un être humain en début de vie qu'en fin de vie, à la différence près que ses facultés cognitives sont développées mais ne paraissent plus s'exercer normalement. M. Lambert a accumulé suffisamment de concepts pour penser, même coupé de ses sens. L'âme ne forme des connaissances qu'à partir des organes sensoriels, mais une fois ces concepts abstraits à partir du réel, rien ne l'empêche d'analyser, de trier, d'ordonner ces concepts pour aboutir à un jugement, à une conclusion. Un homme, les yeux fermés, les oreilles bouchées, sans rien toucher, est capable de raisonner. Nous ne sommes pas dans le cas cartésien de l'homme suspendu dans le vide qui aurait des idées innées provenant de l'âme. Lambert est devenu cet homme suspendu corporellement dans le vide, et tomber dans l'idéalisme platonicien, on peut admettre que sa pensée puisse s'exercer sans apports extérieurs nouveaux par les sens.  
On ne laisse pas mourir de faim les nourrissons parce que l'on sait qu'ils vont grandir et devenir des futurs membres de la société. Et voilà le problème de Vincent Lambert, on dit son état irréversible pour bien montrer qu'il restera dans cet état dit "végétatif": à croire que les médecins arrivent à lire dans les âmes (puisqu'ils privent cet homme de ses fonctions non seulement sensitives mais surtout intellectives) et ou qu'ils nient la pensée immatérielle de l'homme puisqu'ils nient la possibilité d'une activité de l'esprit indépendante des organes corporels.  
Nous dormons un tiers de notre vie, et pourtant on ne dit pas que les hommes ne sont hommes que deux tiers de leur vie. Même pendant qu'il dort un homme demeure un homme. M. Lambert ressemble peut-être à un gros dormeur, cela ne lui enlève pas son humanité pour autant.  
Cela dit, on ne sait pas ce qui se passe dans l'esprit de Vincent. Ce qui peut ressembler à du sommeil éveillé ne l'est peut-être pas. L'absence de mouvement du corps n'implique pas l'absence de mouvement de la pensée qu'on appelle le raisonnement.  Ce n'est pas parce qu'on est privé de la motricité de ses membres que l'activité mentale ne s'exerce pas.
 A moins, évidemment, qu'en plus d'être sophiste, on soit atomiste et que l'on croit que tout sentiment, toute idée, toute abstraction est un flux d'atomes, qui conduirait à la contradiction absurde d'une pensée matérielle. Si l'abstraction signifie quelque chose, elle est par définition immatérielle puisqu'elle consiste à connaître l'objet sous forme de concept exprimé dans une définition, l'intelligence ne retenant que l'aspect formel de l'objet et non plus son aspect matériel, une fois la forme intelligible dégagée du sensible par ce qu'un saint Thomas appellerait l'intellect agent.  Si la pensée était matérielle, nous deviendrions la pierre en connaissant la pierre, nous serions "littéralement pétrifiés" puisque la connaissance consiste à devenir ce qu'on connaît, connaître c'est devenir toutes choses mais en assimilant seulement la forme et non la matière de la chose, c'est étendre son être aux réalités qui nous entourent. La connaissance est synonyme d'immatérialité, tout comme le concept. Ce n'est pas parce que le mot que j'entends est matériel, que la signification qu'il véhicule l'est aussi. Ne confondons pas le signe avec le sens signifié. De cette façon,  selon la belle formule d'Etienne Gilson, l'homme est le "seul sujet capable de transformer les perceptions sensibles des objets particuliers en des signes de notions générales". Pascal, concluait de son côté: "il est impossible que la partie qui raisonne ne nous soit autre que spirituelle et quand on prétend que nous fussions simplement corporels, cela nous exclurait bien davantage de la connaissance des choses, n'y ayant rien de si inconcevable que de dire que la matière puisse se connaître soi-même".    

 Mais revenons à notre sujet après cette digression pas inutile, car l'homme en tant qu'être intellectuel ou raisonnable – Pascal dirait en tant que "roseau pensant" (ce qui correspond plus à l'état dit "végétatif" de M. Lambert) – n'est pas un être de la nature comme les autres. Il est à part dans la hiérarchie des êtres de la nature. Et là se situe l'erreur fondamentale des nouveaux sophistes qui nous gouvernent (au sens large, englobant ceux qui gouvernent les esprits): ils ne savent plus qui ils sont. Ils n'écoutent plus le mot d'ordre de l'antique sagesse grecque donnée à Socrate par l'oracle du temple d'Apollon à Delphes: "connais-toi toi-même".  Socrate fut accusé de "ne pas reconnaître les mêmes dieux que l'Etat", d'introduire des nouveautés et de corrompre la jeunesse. Nihil sub sole novum, rien n'a changé, l'Etat dirigé par les néo-sophistes voit dans Vincent Lambert un objet de contradiction : il est un vivant reproche aux idoles de l'Etat et principalement au dieu Mammon. Pourquoi la vie de Vincent Lambert n'a plus de valeur, parce qu'il n'apporte plus de valeur marchande, il n'a plus d'utilité matérielle. En terme financier, il ne produit rien et au contraire il coûte de l'argent.  Dans une société où tout est réglé et mesuré sur l'étalon or, une vie telle que celle de M. Lambert n'a pas de sens. Avec de tels critères, Marthe Robin, clouée sur son lit, plongée dans le noir pendant cinquante ans, ne travaillant pas, ne mangeant pas, n'aurait pas un procès de béatification en cours. Certes, elle pouvait parler, elle a pu recevoir plus de cent mille personnes dans sa petite chambre de la ferme des Moïlles, elle a participé du fond de son lit à fonder une grande communauté religieuse éparpillée dans de nombreux pays dans le monde. Vincent Lambert, dans son silence, semble ne rien faire, mais cette immobilité apparente déchaîne des tempêtes qui se répandent jusqu'aux confins du pays et sans doute au-delà. Vincent fait beaucoup sans rien faire. Sa vie est devenue un emblème ou une question: un homme même diminué doit-il vivre? 
Pour notre Etat, d'une la réponse est négative puisqu'en terme financier et économique, ce membre de la société n'est plus productif. Dans une machine, une pièce défectueuse doit être impérativement changée pour le bien de la machine tout entière. Cet homme est réduit à l'état de pièce, d'objet matériel. Il faut que Vincent soit sacrifié à l'intérêt général selon les critères essentiels de la Cité. Cette Cité terrestre vit par la matière, pour la matière et dans la matière, l'homme étant réduit à un amas d'atomes qui s'animent par un heureux hasard, sans finalité, sans déterminisme, sans plan préconçu (puisqu'il n'y a pas de dessein transcendant expliquant tout cela).  
Notre Etat a glissé sur les deux versants de l'idéalisme issu de la philosophie d'Hegel: l'hégélianisme dit de gauche aboutissant au matérialisme athée, et celui dit de droite générant une morale au-delà du bien et du mal de type nietzschéen, par laquelle l'homme va pouvoir choisir ses propres valeurs à la place des fausses valeurs imposées d'en haut par la divinité. Avec l'avènement du surhomme, seuls les forts et ceux qui exaltent les valeurs terrestres méritent de vivre.  Socrate, l'ennemi juré de Nietzsche, est mort pour montrer aux athéniens que la vie de la pensée est supérieure à la vie du corps, Vincent est mis à mort pour montrer l'inverse. La vie matérielle l'emporte sur la vertu, parce que le Bien n'est plus une valeur transcendante. Les petits biens immédiats des plaisirs corporels procurés par les richesses sont devenus la fin ultime de l'homme. Ce qui faisait pour les vrais philosophes en quête d'une authentique sagesse, et non les ruses de pseudos raisonnements en vue d'intérêts privés, c'est la pensée, la raison, la vie de l'esprit. 

Pour les penseurs chrétiens, qui allant plus loin que leurs devanciers, tout en restant des "nains sur des épaules de géants" tellement ils leur étaient redevables pour les larges voies qu'ils avaient tracées sur les territoires de la recherche de la vérité, l'homme était haussé à la dignité de personne humaine faite à l'image et à la ressemblance de Dieu. Si tout être, en tant qu'être qui participe à l'acte d'être divin, est fait à la ressemblance de Dieu, l'homme seul est son image. Pourquoi? Parce que l'homme possède la lumière de l'intellect et la faculté de volonté, qui font que ses actes sont pleinement conscients et entièrement libres.  L'âme humaine possède un acte d'être en propre, par participation à l'acte d'être de Dieu, acte de l'âme intellectuelle, qui est aussi acte du corps. L'âme de l'homme est de cette façon une substance intellectuelle, et en tant que substance, elle a un acte propre qui lui permet de subsister même après la séparation d'avec le corps qu'elle anime quand l'homme meurt et que le composé corps-âme se dissout. L'âme humaine est à la fois forme du corps et substance spirituelle à part entière. Cette substantialité de l'âme fonde la substantialité de l'homme. Cela signifie que la grandeur de la personne humaine ne vient pas d'abord de la matière, mais principalement par la forme qui est l'acte de l'âme intellectuelle. Cette âme qui informe le corps et qui l'organise est la même qui pense. On ne peut pas nier que l'âme de Vincent ne remplisse au moins la fonction d'animation de son corps, sinon ce ne serait plus un corps mais un cadavre. Si son âme est accidentellement empêchée de jouer sa fonction motrice, elle peut toujours penser en tant qu'esprit immatériel sans pouvoir former de nouveaux concepts. Et même, à supposer qu'elle ne puisse plus exercer sa fonction intellectuelle, ce qui serait aller contre sa nature, l'âme supérieure de Vincent Lambert resterait l'acte de son être le plus intime et le plus fondamental, sans lequel, il n'aurait pas la vie et ne serait pas un homme (ce qui est le postulat caché et peut-être inconscient de ses adversaires).
Dans une philosophie réaliste de type thomiste, l'âme humaine, substance intellectuelle immatérielle, exerce des actes indépendants de la matière et du corps. Par nature, elle est incorruptible. En tant que substance, comme toute substance par définition est un "être par soi", elle possède un acte d'être propre et peut donc survivre à la mort du corps qu'elle anime. Cela assure philosophiquement l'immortalité de l'âme.

L'homme a été très justement qualifié par Aristote d'animal raisonnable. Il partage donc avec tous les autres êtres doués de sensation le même genre animal. Par contre, il se distingue spécifiquement par sa raison. Il appartient par elle à une autre espèce. Enlevez la pensée à l'homme, et ce n'est plus un homme. Ce n'est plus opérer une aliénation, mais une déshumanisation. Sans la pensée, l'homme n'a plus la même essence. Or l'essence ne change pas avec un accident (au sens philosophique et commun du terme). L'essence est ce qu'est la chose, ce qui fait qu'elle est telle substance. Elle entre en composition avec l'acte d'être au moment de la génération de la chose pour en faire telle chose spécifique. On ne change pas l'essence comme on change les accidents qui eux complètent la substance et existent par elle: on peut changer de couleur de cheveux, mais un homme ne devient pas un chien ni un arbre, et encore moins en quelques secondes. Même Darwin n'irait pas jusque-là. L'accident routier qui a changé la vie de Vincent Lambert n'a pas fait varier son essence d'homme. Sa différence spécifique demeure intacte. La pensée, faculté propre à l'homme, spécifie toujours sa substance, elle en est toujours la forme, elle la fait être telle substance précise. Sans elle, la substance ne serait plus, et cet individu précis serait néantisé. Vincent n'est tout de même pas un miracle vivant. L'hostie consacrée est le seul cas miraculeux aux yeux de la foi, où les accidents demeurent sans la substance initiale. Cela relève du surnaturel et ne le concerne pas.

Tout en restant dans le naturel, il est permis de dire que le corps de l'homme créé par Dieu, est devenu un temple pour son intelligence, son esprit - mens en latin - est une participation à l'Esprit même de Dieu. Même si cet esprit ne peut plus exercer correctement ses opérations dont une partie correspond à l'animation des membres corporels, il anime toujours le corps auquel il apporte la vie, il l'informe, l'organise dans ses fonctions vitales. Il peut surtout continuer une activité mentale interne, même si celle-ci ne transparaît pas extérieurement. Et au-delà de l'utilisation de cette faculté, la présence de la lumière de l'intellect en l'homme, est une présence du divin. Détruire l'oeuvre de Dieu est un sacrilège. L'homme n'est pas la mesure de l'homme. Il y a des choses qui échappent à son empire. Ôter la vie d'un innocent en fait partie.  
Pour parler le langage de Pascal, on s'arrête à la misère de l'homme, on ne voit en Vincent Lambert qu'un corps handicapé, sans considérer sa grandeur, ce corps reste animé par une faculté d'origine divine dont la dignité n'a rien de comparable dans tout l'univers matériel. Quand cet univers "l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt; et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien. Ainsi toute notre dignité consiste dans la pensée."      

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