L’approche chrétienne sur le sujet des animaux est comme toujours très équilibrée. Bien que l’Eglise soit « experte en humanité » pour reprendre les mots du bienheureux Paul VI, elle ne l’est peut-être pas tant en animalité, car cela sort de son domaine propre, qui est le salut des âmes, et justement, les animaux ne sont pas concernés par cela. Ceci dit, comme pour tout, l’Eglise a un regard de sagesse sur toute la création naturelle et on sait depuis longtemps que l’homme est un animal raisonnable. Ainsi, je m’étonne que les autorités semblent ne se rendre compte que maintenant que l’animal est un être doué de sensibilité, et lui reconnaissent en ce moment un statut dans ce sens. Mais Aristote enseignait déjà cela plus de quatre siècles avant notre Seigneur. Non seulement l’animal partage avec l’homme un corps assez semblable, avec des organes plus ou moins similaire, mais aussi une âme animale équivalente à ce qu’il appelait la « raison particulière » de l’homme, faculté liée aux sens et qui se charge du traitement des « fantasmes » ou images provenant du contact des sens avec les objets sensibles extérieurs. Les animaux reçoivent donc comme l’homme des espèces sensibles qui leur permettent une certaine prudence, des rêves, une vie affective et des comportements qui se retrouvent chez l’homme. Cependant, même dans ce domaine qui n’est pas celui de l’abstraction, des concepts, de la définition de l’essence, du jugement et de la pensée universelle, une différence se dégage déjà. D’après Aristote les animaux et les hommes ont des représentations des perceptions sensibles du passé mais pas de la même manière. L’animal le fait par l’instinct, l’homme par une sorte d’inférence. Pour ce qui concerne la mémoire, « l’homme possède comme l’animal le pouvoir de se souvenir immédiatement des faits passés, mais encore celui de les évoquer par la réminiscence, en recherchant d’une manière presque syllogistique à se souvenir de ces faits sous forme de représentation individuelle ». Voilà ce que dit St Thomas à la suite du Stagirite, et c’est un bien de la pensée chrétienne depuis le XIIème siècle.
Tout ceci pour te dire que l’Eglise n’a pas attendu l’aventurier écolo Nicolas Hulot, ni Cécile Duflot pour placer l’animal au rang qui lui convient dans la hiérarchie des êtres créés. Mais ces quelques mots rappellent, comme tu le dis, que l’homme à une dignité infiniment plus grande que celle des autres mammifères, car par l’intellect (ou la raison si tu préfères) et la volonté, l’homme, créature fait à l’image et ressemblance de Dieu, est dans l’ordre de la nature tout en lui étant supérieur et comme extérieur. L’homme n’est pas une nature comme les autres, car son âme est créée directement par Dieu et a une destinée supra-naturelle. Un abîme sépare la nature animale et la nature humaine, malgré le point commun d’ordre corporel ou matériel. Du côté de la forme, la comparaison n’est plus valable. Elle est strictement naturelle tournée vers la matière et corruptible du côté des animaux, immatérielle, substance subsistante, principe formel du corps, et en même temps principe de connaissance et d’action.
Il existe une grande confusion concernant la différence entre l’homme et l’animal, et le fait d’écouter l’enseignement du bouddhisme ne va pas aider à y voir clair. En effet, cette philosophie, corruption du brahmanisme, prêche la dissolution de l’homme et de la divinité. En effet à strictement parler, il n’y a pas de Dieu personnel pour le bouddhisme, qui est soit inconnaissable, soit même nié, mais un flux, un courant dans lequel s’inclut la métempsychose, qui fait que l’homme n’a plus d’essence stable puisqu’il peut devenir ou avoir été un animal ou un ver de terre. Dans ces conditions, il est clair que l’animal acquiert la même dignité que l’homme à partir du moment où l’on peut indifféremment passer de l’un à l’autre. De plus, le bouddhisme, qui prône la fuite radicale du monde matériel et même de l’existence comme source du mal et de la souffrance, ne s’intéresse pas tant à la divinité qu’à l’humanité, car si le Néant est le but suprême (le nirvâna signifie la nudité), on revient à une pensée de l’homme au service de l’homme. En plus de la tendance classique du goût pour la nouveauté, le changement (c’est maintenant !) et l’exotisme, on comprend qu’une sagesse, déguisée en religion, qui promet un accroissement du Moi par ses propres moyens (méditation pour se fuir soi-même) flatte nos contemporains déboussolés.
Je ne compte plus les élèves pour lesquels un animal a plus de prix qu’un humain, et en cela ils sont bien de leur temps, à une époque où le gorille et la baleine sont plus protégés que l’embryon ou le fœtus humain. J’aime les animaux et il faut en effet défendre les espèces vulnérables, mais il faut aussi savoir remettre les choses à leur juste place.
Tu évoques la Bible, n’oublions pas que dès le commencement l’homme reçoit la mission de nommer les animaux et donc il en est le gérant et le responsable. Noé ne sauve pas que l’humanité, mais également toutes les espèces animales vivantes. Dans le livre de Tobie, un ange, mais aussi un chien, accompagnent le jeune homme sur la route pour veiller sur lui. Saint Jean Bosco, avec St Jean-Baptiste de la Salle, un grand modèle des éducateurs chrétiens, était lui aussi protégé par un chien qui l’a défendu contre des malfrats qui en voulaient à sa vie. Inutile de parler de St François d’Assise ami d’un loup féroce et des oiseaux, et de St Antoine de Padoue qui a prêché un jour à des poissons. La position de l’Eglise est pleine de bon sens et dans un juste milieu, entre ceux qui ne font de l’homme qu’un animal parmi les autres, ou qui par une trop grande sensiblerie, viennent à interdire toute consommation de viande ou d’utilisation du corps des animaux pour servir les besoins humains ; et ceux qui par un excès inverse détruisent les espèces par un souci de rendement sans limites, tuent par plaisir ou font souffrir inutilement.
Si tu as des élèves qui pensent que l’Eglise se désintéresse de ces questions, tu peux les inviter à relire leur Catéchisme de l’Eglise Catholique à l’article plein d’équilibre sur « le respect de l’intégrité de la Création » (§2416) et qui se termine par une conclusion de bon sens : « On peut aimer les animaux ; on ne saurait détourner vers eux l’affection due aux seules personnes »). Et voilà le grand drame, on ne sait plus ce qu’est l’homme et la notion de « personne ».
Après vingt siècles de christianisation de nos contrées gauloises, tout, presque, est à recommencer.
Je ne sais pas si l’ego cartésien est démesuré, mais je sais que la sagesse du christianisme est pleine de mesure. Par un effet paradoxal, il semblerait que plus l'homme s’enorgueillit et se coupe de sa source et de sa finalité qui est Dieu, plus il rabaisse son ego en tant qu’essence humaine au point de vouloir être déchu de sa supériorité naturelle au profit d’êtres qui lui sont inférieurs. Là encore Nietzsche a été le grand prophète du monde moderne, puisque justement, dans son « Antéchrist », il privilégiait contre Socrate l’instinct sur la conscience, ne faisant plus « descendre l’homme de l’ «esprit». A sa suite, nos contemporains peuvent redire : « nous l’avons replacé parmi les animaux ».