· Tu me parlais des animaux, ce qui est une bonne chose pour ceux qui cherchent à rendre compte du réel par une analyse rationnelle du monde qui les entoure. Ceci me permet d’aborder les deux sujets principaux que tu soulevais : le créationnisme et la philosophie de Descartes. Le dernier point concernant le blasphème est un sujet à part, même si indirectement il peut éventuellement être rapproché du premier. Je vais donc d’abord te livrer brièvement ma pensée sur celui-ci.
Le terme « créationnisme » de nos jours est sujet à caution, tout comme celui de « fondamentalisme », tous les deux provenant plutôt du jargon des protestants américains. Le deuxième est bien pratique pour les adeptes du « padamalgame » et du relativisme religieux, car il leur permet de mettre dans le même sac l’islam, le judaïsme et le christianisme, et d’associer des catholiques soucieux de préserver l’ancien rite latin et certaines valeurs morales ancestrales « vivaces » (c’est-à-dire « non-caducs » pour cette fois-ci parler le langage de la flore) à des obscurantistes. Mais là je déborde sur le dernier point.
Je reviens donc au créationnisme. Si par ce terme il faut entendre que notre monde physique a été créé ex nihilo par un Dieu transcendant la matière, alors tout catholique ne peut qu’adhérer à cette thèse, car c’est l’un des tout premiers articles du Credo. Ce Credo, liste de discernement entre les croyants et les non-croyants en la doctrine du vrai Dieu incarné en Jésus-Christ, commence certes par l’existence de Dieu, (« Je crois en Dieu… »), mais cette existence n’est pas le domaine réservé de la Foi, puisque le Concile Vatican I rappelle que la raison par sa seule lumière peut affirmer cette même existence. Du coup, le premier article de la Foi est vraiment la paternité de Dieu (...le Père tout-puissant…) et sa toute-puissance, toute-puissance qui explique le point suivant, à savoir la création de l’univers physique et métaphysique à partir de rien (…créateur du ciel et de la terre… »). Du côté de la Foi, si on croit à la Révélation, force est d’accepter l’idée d’un Dieu créateur. Par la même, on ne voit pas les choses de la même manière qu’un incroyant. Et du coup, tout s’éclaire d’une lumière nouvelle qui corrobore ce que la raison peut aussi trouver seule dans son investigation à partir du monde réel. Parler de « créationnisme », c’est en gros se positionner comme disciple de Darwin pour rejeter toute explication du monde ayant pour fondement le recours à une cause transcendante. C’est vouloir rendre raison des lois physiques et des corps avec une cause immanente, qui n’a d’autre source que la matière elle-même.
Darwin, pasteur raté, ayant repoussé le Dieu biblique, a bien dû recourir à une autre explication que celle de l’acte divin créateur. Son déclic est venu par la lecture d’un autre pasteur Anglais, Malthus. Ce dernier voulait éradiquer la pauvreté sociale en faisant disparaître les pauvres, ce qui a le mérite d’être efficace mais peu chrétien. Darwin a transféré cette idée à l’explication de la diversité des espèces. Car il faut savoir que Darwin n’est pas l’inventeur de la théorie de l’ « évolution », idée dérobée au philosophe Spencer, mais de la lutte des plus forts pour la survie des espèces. En cela il est plus nietzschéen que chrétien. Oparine, savant soviétique, matérialiste athée, ennemi déclaré du judéo-christianisme, avait bien du mal à justifier l’apparition de la vie à partir de la matière inerte. Car il y a un abîme entre les deux, et il savait depuis Pasteur, que la génération spontanée était une illusion. On se rend vite compte que les défenseurs du dogme évolutionniste sont aussi généralement des ennemis de Dieu. Quel hasard ! Et justement, pour eux une grande partie de la théorie s’explique par le hasard, ajouté à celle du temps. Car avec le temps tout devient possible. Mais on aura beau mettre autant de puissances 10 que l’on veut sur la ligne du temps, rien ne changera au fait que du néant rien ne sortira de soi. Pour que l’être commence à exister après le néant, il faut une cause qui elle-même soit acte d’être. De rien, rien ne sort. De plus le hasard est tout sauf une explication, car par définition le hasard est une absence de cause : si deux personnes se croisent sans avoir eu l’intention de le faire chacune de son côté, on dit qu’elles se tombent dessus par hasard.
En fait, du point de vue philosophique, la grave lacune de l’évolutionnisme, est de décrire les espèces (notion que bizarrement ils tentent de détruire, car pour un vrai darwinien, l’espèce n’existe pas puisqu’elle varie sans cesse), c’est-à-dire le comment, sans jamais considérer le pourquoi. La grande absente de cette pensée est la notion aristotélicienne de finalité. Comment se fait-il que je constate la présence d’intelligence, d’information complexe, de lois immuables dans le monde physique. Le hasard ne peut pas réussir à faire que systématiquement et immanquablement les mêmes causes produisent les mêmes effets. Il existe des constantes dans notre monde, dont la Bible dit qu’il a été fait avec « ordre, poids et mesure ». Il n’y a rien d’étonnant que l’effet contienne des attributs de la cause, ou que la cause se reflète dans une certaine mesure dans son effet, et ceci ne vaut pas que pour le croyant. Les darwiniens veulent que le milieu façonne l’organe (ce qui est impossible d’ailleurs quand on pense à l’œil, par exemple, organe qui donnait des frissons à Darwin, car il voyait bien que cet organe complexe ne fonctionne que si tout est en place dès le début, qu’il nécessite un équilibre délicat entre les différents composants, et du coup les petites modifications sur une longue période, cœur de la doctrine, rendrait la vision impossible).
Cela revient à dire finalement que l’effet explique la cause. Personnellement, je préfère l’inverse. Il me semble plus raisonnable de dire que la cause détermine l’effet et non l’inverse. Du coup, n’est-ce-pas l’organe qui est adapté dès le départ au milieu : les oiseaux ont des ailes, des caissons d’airs de dépressurisation, un sens inné de l’art du vol (il n’existe pas d’école de pilotage pour eux comme j’ai pu le constater directement avec des oisillons chez mes parents), est-il autorisé de penser qu’ils ont été conçus pour cela ? Quand je vois un avion, je ne me pose pas de question, je sais que des ingénieurs ont réfléchi et travaillé pour aboutir à cette machine volante. Quand j’observe un oiseau, je me dis que l’art humain imite l’art de la nature. Or la nature ne fait pas les choses en vain parce qu’elle est orientée. La raison peut et doit poser une cause directrice qui fait apparemment bien les choses. C’est ce qu’on nomme la finalité, et ce que les darwiniens refusent de voir. Ainsi on met la charrue avant les bœufs, on inverse les rapports, dans un exercice de contorsion ayant pour but d’évacuer la notion intention dans le fonctionnement du monde physique. Constater l’admirable assemblage des membres et des organes formant le corps d’un animal, c’est bien mais cela ne suffit pas. Il est nécessaire d’aller plus loin, et expliquer pourquoi tout est ainsi ajusté à la perfection pour permettre, la nutrition, le mouvement, la vue, l’ouïe, etc… Le hasard ne fait pas aussi bien les choses quoi qu’en dise le dicton.
En outre, je dirai que personne n’a vu une espèce se transformer, au contraire, les animaux que décrit Aristote sont les mêmes aujourd’hui. La génétique montre que la nature lutte contre les déformations, et rejette ce qui pourrait porter atteinte à l’intégrité de l’espèce : un serpent à deux têtes est peu viable, et cela ne se reproduit que rarement, certaines tares font que le sujet ne vit pas très longtemps, un croisement cheval-âne rend le mulet généralement stérile.
Il est facile de dire que personne n’a assisté à la création du monde, qui pour le coup est un dogme indémontrable, mais le dogme évolutionniste n’est pas plus capable d’expérimenter son transformisme. Cela reste une théorie, qui au nom de la lutte contre un soi-disant obscurantisme est devenu un dogme scientifique laïc qu’on n’a plus le droit de remettre en cause. Cette seule tendance est suspecte. Car autant le dogme religieux provient de la révélation divine et donc s’accepte telle quelle, et son « évolution » est à comprendre dans le sens d’un approfondissement et absolument pas dans le sens d’un changement, autant les explications scientifiques, seulement humaines, sont sujettes à caution et peuvent être périmées selon l’avancée des connaissances et de la pointe de la technologie.
Pour terminer, on peut préciser que le terme d’évolution est mal choisi, car evolvere en latin signifie un déploiement à partir d’un germe initial, ou si tu préfères c’est comme dérouler un tapis. En ce sens, le gland évolue vers le chêne, car il contient en germe tout ce que cet arbre va devenir. C’est ce que st Augustin appellerait les raisons séminales. On est donc loin d’une évolution de transformation, et de modifications plus ou moins hasardeuses. Darwin compare la sélection naturelle à la sélection humaine de l’éleveur qui fait un tri dans son troupeau (là, ça doit plus te parler) pour obtenir telle ou telle modification (car il existe en effet une micro-« évolution » au sein même de l’espèce qui n’implique pas une macro « évolution » faisant passer d’une espèce à une autre). Et, il a raison en un sens, car il y a une intelligence divine derrière tout cela (même si Dieu tout en soutenant chaque chose créée dans l’être comme cause première, laisse sa création opérer en tant que cause seconde, et donc ne fait pas tout à la place de ses créatures, mais les gouvernent à travers les lois physiques qu’il a lui-même mis en place, d’où au passage la possibilité du miracle). Le seul problème est que Darwin prend cette image tout en appliquant ce choix intelligent à une cause qui ne l’est pas.
Tu dois être à ce point de ta lecture, complètement sonné par ce flot d’arguments un peu en vrac. Je vais donc te laisser souffler et passer au deuxième point, sur lequel je vais essayer d’être plus bref, même si il est d’une façon plus délicat puisqu’il concerne quelqu’un que tu tiens en estime. Et tu as raison car je partage ce sentiment avec toi. Mon précepteur-à-penser Etienne Gilson – duquel je reprends les arguments ci-dessus à propos du darwinisme– a connu saint Thomas d’Aquin grâce à Descartes, et on sent qu’il lui a toujours gardé cette gratitude. Cela n’enlève pas le fait qu’une fois disciple de saint Thomas, il a été amené à voir les lacunes de la pensée de Descartes. L’un n’ôte pas l’autre. Et l’on peut aimer une personne sans cautionner tout ce qu’elle pense ou fait, avec la réserve qu’on doit normalement trouver chez le vrai ami des points de convergences, un projet commun, puisque l’ami est en définitive un autre soi-même. Pourquoi est-ce que j’apprécie Descartes ? Premièrement il a voulu être un défenseur de la Foi catholique, ce qui est déjà immense et l’essentiel quand on aime Dieu et qu’on cherche « sa plus grande gloire » comme saint Ignace. Ensuite, c’est un auteur relativement agréable et facile à lire. Son système philosophique est des plus simples (normal quand on cherche en tout premier lieu des idées claires). Je ne dis pas simpliste ! Et pour un amateur comme moi, j’aime pouvoir aborder une doctrine sans avoir des maux de tête. Un autre mérite de Descartes est d’avoir permis l’avancée technologique que nous connaissons, bien qu’elle puisse être aussi objet de critique avec sa tendance à tout absorber. Nous devons à l’ancien élève des jésuites de La Flèche, d’être d’une certaine façon un bienfaiteur de l’humanité. Si je ne souffre plus chez mon dentiste, c’est indirectement grâce à lui.
Ceci dit, il faut comprendre les penseurs catholiques qui peuvent en vouloir à celui qui a rendu possible Kant, puis Hegel. Le premier a enterré la métaphysique et le second a engendré Marx entre autres. Bien que Descartes appartienne au noble courant philosophique qui va de Platon à St Anselme en passant par saint Augustin, il a ouvert les portes à un idéalisme dont il ne soupçonnait pas les conséquences.
Dans son souci compréhensible d’améliorer la connaissance humaine, il brûle par trop les étapes. Il veut rendre l’accès à la pensée de Dieu plus rapide et évident, mais il dévie ainsi vers un angélisme qui ne respecte pas la façon dont l’intellect fonctionne à partir du sensible uniquement pour abstraire des concepts puis remonter par induction vers l’âme humaine, les principes premiers de la connaissance, et pour finir l’existence de Dieu.
De plus, Descartes a été le fossoyeur de la notion des « formes substantielles » comme je te l’ai déjà dit je crois, et qui permettait un regard qualitatif sur l’essence des choses. Tout ceci a eu pour effet dans le temps, chez ses disciples, et malgré lui, d’obscurcir le regard sapientiel de l’intelligence et de priver l’homme de sa recherche dans le domaine de la philosophie Première. A quoi s’intéressent les hommes de notre temps : progrès de la technique pour vivre plus longtemps sur terre en satisfaisant le plus possible nos désirs matériels et les jouissances corporelles ou égocentriques : gloire, richesse, pouvoir , les trois piliers de tous les hommes politiques actuels, c’est-à-dire de ceux censés représenter l’élite, les meilleurs d’entre nous. On cherche encore les philosophes rois de Platon et l’homme vertueux d’Aristote œuvrant pour le bien commun de la Cité.
FX Bellamy, reprend une tradition qui fait de Descartes l’initiateur de tendances qui de nos jours ont pris des proportions dramatiques. Je ne peux pas le nier. Dans le livre en question, il reprend les mots de Descartes lui-même de son « Discours de la méthode », dont le but est de démontrer que la meilleure méthode d’apprentissage est de mettre de côté les apports de l’école pour apprendre par soi. Surtout ne rien transmettre (comme le disait aussi le P. Tise en bon moderniste, en bilan d’année de pastorale de notre ancien collège, dans le domaine de la Foi, en parfaite contradiction avec st Paul). Cette méthode était peut-être adaptée pour Descartes qui était un penseur génial, mais il a peut-être manqué de prudence en voulant l’élargir à l’élève commun. Personnellement, je vois là également une inversion des valeurs. Dans tous les domaines, j’ai l’impression qu’on marche sur la tête.
En fait, Descartes est lui-même victime du vrai père de la modernité qu’est Luther, le vrai apôtre de l’avènement du Moi, dont Rousseau sera un digne enfant. Avec le réformateur allemand s’ouvre une ère où l’individu l’emporte sur le reste et il devient le seul critère de la vérité. Il est difficile de nier que Descartes ne participe pas un peu à sa manière à cette tendance. C’est, il me semble, ce que Bellamy voulait dire. Mais encore, cela n’enlève rien à tout ce qu’on peut aimer chez ce penseur. Le but, une fois encore, n’est pas de se faire des amis (et dans ce cas la vérité doit l’emporter sur l’amitié, car l’amour ne va pas sans la justice et la vérité), ni de répéter ce qu’un tel ou un tel a dit, mais de chercher la vérité.
Pour finir, je voulais juste te toucher un mot à propos du blasphème. Je suis d’accord avec toi quand tu dis qu’il y a des différences entre l’islam et le christianisme, et qu’une d’entre elles est la notion de transcendance qui n’est pas du tout interprétée de la même manière dans les deux religions. Le Dieu musulman ne réclame que la soumission pure et simple, dont la volonté impose un fatalisme à la vie de l’homme et à l’issue de sa vie (tout comme chez les calvinistes qui pensent que Dieu prédestine les hommes au bonheur ou au malheur indépendamment de leurs actions, à cause d’un augustinisme mal digéré), qui gouverne le monde de très loin, œuvre d’une volonté incompréhensible pour l’homme et non œuvre de raison, puisque le monde est comme recréé à chaque instant comme par un miracle continu. En comparaison d’un Dieu qui fait l’homme à son image et à sa ressemblance, qui se fait homme et qui veut qu’on l’appelle « papa » et qu’on l’aime comme tel, qui nous dévoile ses intentions parce qu’il nous considère comme ses « amis » et non plus ses serviteurs, on peut dire sans hésiter qu’on ne joue pas dans la même cour. Ceci dit, le blasphème, malgré l’incarnation en Jésus, reste une grave faute, car Dieu, plus que nos parents, plus qu’un Président ou qu’un Pape, mérite le respect dû à l’éminence de sa grandeur, de sa perfection et de la pureté de sa sainteté. Je ne veux pas te décevoir ni te choquer mais le Catéchisme de l’Eglise Catholique classe le blasphème au même rang que l’adultère et l’homicide. C’est donc un « péché mortel » pour l’âme, dans le sens où il la coupe de la grâce, qui est la vie divine en nous. Ce qui est normal car il porte atteinte à Dieu (dont le dicton populaire dit qu’on ne se moque pas impunément). Celui qui fait cela ne peut pas aimer Dieu, sinon il ne le ferait pas. Cet acte détruit en nous la charité, ou en tout cas montre qu’elle n’est pas là. Et voilà en quoi consiste la faute la plus grave, celle qui peut nous priver de la vie bienheureuse. Nous ne sommes pas simplement « légalistes », nous prenons au sérieux l’impact de la grâce dans notre vie, qui fait que contrairement aux protestants et aux musulmans, nous croyons que la vie sacramentelle, les prières, les actes méritoires que nous opérons avec l’aide de la grâce, toutes vertus naturelles et surnaturelles finissent par nous transformer de l’intérieur pour devenir des « hommes nouveaux ».
Là nous sommes au cœur de st Paul et de st Augustin. Je comprends la colère des musulmans, contre ce qu’ils croient être un comportement de chrétiens, alors qu’il s’agit de déviances issues de multiples sources. Ils s’en prennent à d’anciennes valeurs chrétiennes qui ont été vidées de tout leur contenu essentiel. Le malheur est que les chrétiens du Niger par exemple en font les frais et le payent de leurs vies.