Sagesse chrétienne
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Cela fait plusieurs années qui je voulais commenter le début d'un petit ouvrage d'Annie Laurent, journaliste spécialisée dans l'Islam et qu'on ne présente plus dans un certain milieu catholique autorisé. Les quelques jours de convalescences imposés m'invitent à m'y atteler, car au-delà du dialogue inter-religieux nécessaire pour connaître les autres monothéismes, notre dessein est de commencer par mieux savoir ce en quoi l'on croit soi-même. Impossible d'ailleurs de dialoguer avec une autre doctrine sans comparer les deux, et cela requière évidemment de connaître la première. C'est ce que dit très justement l'auteur dans sa brève introduction.  Le chapitre I commence par le commencement, à savoir Dieu, en suivant la voie théologique qui descend du créateur vers les créatures, puisque pour savoir ce que l'Islam pense de l'homme, il faut savoir quel regard il porte sur Dieu. "Un rappel théologique est donc ici nécessaire", conclue-t-elle.  Mais justement, un "rappel" est-il suffisant dans une matière aussi grave, qui vise à traiter ni plus ni moins de l'essence insondable de la divinité? On peut être islamologue sans être théologien catholique patenté. En lisant ces mots je crains que l'adage de Pasteur sur le"un peu de science" qui éloigne de Dieu ne soit applicable au "un peu de théologie" qui éloigne également de ce qu'est Dieu.  L'impression donnée par la courte apologétique de Mme Laurent, est que l'effet obtenu est l'inverse du but visé. Par l'analyse théologique proposée ici, un musulman risque d'être conforté dans sa conviction que le christianisme n'est pas un pur monothéisme. Essayons de voir pourquoi en suivant point par point l'argumentation de l'auteur. 


    La critique porte d'emblée sur le point d'achoppement à savoir la Trinité. L'islam est à la même enseigne que le judaïsme sur ce rejet du Dieu trinitaire. Ce qui en soit n'est pas incohérent car un mystère de la foi nécessite un don, une grâce pour surmonter un obstacle avoue-on le de taille. Annie Laurent prônait dans son introduction "une approche qui s'appuie sur la raison" et non une étude menée "sous l'angle seulement sociologique ou affectif" car "l'émotion, dominante dans les sociétés occidentales contemporaines, a trop tendance à fausser la réflexion raisonnée". Un ami de saint Thomas d'Aquin ne peut qu'applaudir en lisant un tel projet. La raison doit creuser au maximum le mystère pour obtenir une formule plus précise tout en gardant en tête que le mystère restera entier.  Usons donc de raison avec les instruments d'une saine philosophie telle que celle de st Thomas et soyons le plus précis possible.  Le monothéisme juif est-il moins pur que le monothéisme chrétien parce qu'il s'arrête au Dieu Un et ignore la Trinité. Il est de fait plus pauvre, moins parfait, moins profond, donc moins vrai, mais pas forcément faux. Mme Laurent mais en parallèle le "Dieu Un et seulement Un" de l'islam (et nous rajoutons du judaïsme) et le Dieu Trinitaire, "Un en trois personnes". D'un point de vue logique, la comparaison est faussée, car une addition "et", ne vaut pas une inclusion "en". L'Un ne souffre pas d'addition, sinon ce n'est plus l'unité mais la dualité. Nous reviendrons sur ce point central lié à l'essence même de Dieu, cœur de la pensée thomiste qui nous semble être la source de toute cette confusion. On ne peut pas dire que la trinité rajoute quelque chose à Dieu comparé à l'unité. Notre Dieu n'est pas plus Dieu, plus Un ou moins Un, parce qu'on distingue ne lui un mystère non reconnu par les deux autres monothéismes.  En disant que Dieu est "Un et seulement Un", on donne à croire que l'unité de Dieu ne suffit pas à faire de lui le Dieu unique. Il n'y a qu'un seul Dieu parce qu'il n'y a q'un seul être premier source de tout être. Que la révélation nous enseigne en plus une procession au sein de cet acte d'être pur unique, n'enlève rien ni ne rajoute quoi que ce soit à ce qu'est dans son essence cet acte d'être.     

Le paragraphe qui suit rajoute à la confusion. Opposer "l'unicité" du Dieu musulman à "l'unité" du Dieu chrétien ne sert pas à grand' chose. Il suffit d'ouvrir un bon dictionnaire, disons le Robert de 1975 (datant avant l'invasion des nombreux nouveaux barbarismes anglo-saxons, du netspeak, de l'écriture inclusive, du newspeak Orwelien, etc...) pour remarquer que la première définition donnée pour ces deux mots est le " caractère de ce qui est unique". Certes saint Thomas n'utilise que le terme latin d"unitas" et jamais d' "unicitatis". Pourtant le CEC (n°200) rappelle que le symbole de Nicée-Constantinople commence par la "confessio unicitatis Dei", l'unicité de Dieu. De même le Denziger (n°367) nous trouvons dans la même phrase tour à tour "l'unité" (de l'essence divine) puis "l'unicité de la divinité". Ce genre de cette distinction de vocabulaire ne va donc pas trancher le débat, d'autant plus qu'elle va permettre d'introduire un concept encore plus incongu, à savoir le "solitude" de Dieu. D'où vient cette confusion? Mme Laurent nous met immédiatement sur la piste elle comprend l'unité comme la réunion des parties dans le tout, ce qui est une des acceptions possibles du terme "unité": le mot "unicité sous-tend une réalité de solitude, donc bien différente de celle qu'exprime le concept d'unité. L'unité n'exclut pas la diversité. Ceci vaut pour Dieu et pour toute autre réalité."  Y a-t-il réellement de la diversité en Dieu? On m'excusera d'être ni journaliste, ni théologien, mais pour l'homme ordinaire que je suis, le sens courant et usuel de "divers", renvoie à la différence.  Y a-t-il donc des "différences" dans l'essence divine? Saint Thomas dit dans son Compendium: "Essentia autem divina est ipsum esse, cuius non est accipere differentias" (I, 15), l'essence divine est l'être même où il n'y a pas place pour les différences. Nous tournons toujours autour de cette notion de l'ipsum esse thomiste comme un papillon de nuit autour d'une lumière vive en pleine nuit d'été, il nous faudra bien nous y (re)poser. Il n'y a pas de différences en Dieu parce qu'il est l'être même, il est son essence, il n'a pas de genre. L'être n'a pas de genre car la seule différence possible pour l'être, c'est le non-être, c'est-à-dire la négation même de l'être, ce qui le détruirait. Or le genre introduit la première différence dans les essences des êtres qui ne sont pas leur propre être, qui en plus d'une essence, reçoivent l'existence. Ensuite vient la différence spécifique. Les créatures, passent de la puissance à l'acte, de la non-existence à l'existence par l'acte "efficient" de l'esse de Dieu. Il y a ainsi composition entre l'essence et l'existence ainsi qu'une composition de matière et de forme pour constituer l'homme total corps et âme. Cette double composition d'une cause formelle agissant sur la matière et d'un acte formelle efficient posant cette essence dans l'être, est étrangère à la simplicité et à l'unité divine.     
Quand saint Thomas parle d'unité, c'est pour signifier qu'un acte pur d'exister ne peut être qu'unique. Ce même paragraphe 15 s'intitule en effet "il est nécessaire de dire que Dieu est un". "Dieu ne peut être ni genre ni espère attribuables à plusieurs". L'essence de Dieu "est par elle-même individualisée parce qu'en Dieu l'essence n'est pas autre chose que l'être". Tout philosophe sait depuis Parménide, que l'être est UN, ou il n'est pas. C'est le premier des "transcendantaux", chers aux théologiens médiévaux, notions convertibles avec l'être, comme le bien, le vrai, le beau. Comme Dieu est son essence, " il est donc impossible que Dieu ne soit pas unique". Ce qui est un seul, c'est ce qui est unique comme veulent les définitions de l'unicité et de l'unité. Seul ne veut pas dire solitaire, terme péjoratif qui sous-entend une tristesse, un isolement, un abandon, la fuite de la compagnie, un repli sur soi, un égoïsme, le désert aride. La solitude veut dire quelque chose quand il y a un autre être individuel, substantiellement autre, avec lequel on peut se comparer et s'estimer proche ou lointain.  Tout cela n'a aucun sens concernant Dieu qui n'a pas d'autres dieux avec lesquels il entre en concurrence. C'est plutôt l'inverse. Sa perfection infinie d'acte pur d'être, le rend tout puissant, totalement parfait, sans aucune puissance ni manque, infiniment bienheureux pas la connaissance qu'il a de son essence. Dieu n'est pas moins seul par la procession des personnes de la trinité que le Dieu qui dit à Moïse "Je suis celui qui suis". Car il révèle là son essence d'acte d'être, ce qui suffit à le rendre parfait et sans comparaison avec un autre être, par rapport auquel il serait en relation ou non.   

  Il n'est pas "ambigu de s'en tenir au vocable "UN" pris tout seul comme attribut de Dieu "au prétexte que "cela évoque un Dieu solitaire". Au contraire dans un dialogue inter-religieux avec nos frères de la première alliance et nos frères en monothéisme musulmans, il nous semble bon d'insister sur ce fondement de l'unité de Dieu compris comme un seul Dieu par essence. Une fois ce socle bien en place, il est possible d'avancer dans les arcanes de la théologie trinitaire et montrer en quoi les processions de ce que la tradition latine nomme les personnes divines ne s'opposent absolument pas à la possibilité d'une absolue unité divine.  Saint Augustin était le premier à reconnaître que le terme latin "persona" ne manquait pas d'être ambigu, mais il préféra cela à l’ambiguïté plus grande encore que contenait le terme grec d'hypostase qui pouvait se confondre avec celui de substance, et de penser qu'en Dieu il y aurait trois êtres substantiels différents. Le problème reste que pour le catholique de base, une personne est également une substance différente d'une autre personne, et un père humain est un individu autre que son fils, alors qu'en Dieu, le Père n'est autre que le Fils, ils sont le même être, la même substance. Que l'on soit indulgent pour les non chrétiens, car notre vocabulaire prête à confusion. L'Eglise de France a renoncé au "consubstantialiem Patri" pour le remplacer par le "de même nature", qui n'apporte pas grand' chose, car un fils d'homme est aussi de même nature que son père, mais pas la même substance.     

Pour terminer, Mme Laurent nous dit que "le mystère du Dieu trinitaire nous révèle un Dieu qui est Amour dans son Etre même, dans son essence. C'est un Dieu de relation, relation en lui-même et relation avec l'humanité". C'est aller un peu vite en besogne et sauter les étapes. Dieu se révèle avant tout comme l'acte d'être même, c'est le nom qu'il se donne dans la première alliance, et de ce nom découle tout le reste. Si Dieu est son être et si son essence c'est son être, alors son intelligence et la vérité sont son être, sa volonté et la bonté sont son être. Mais pour aimer, il faut d'abord connaître, et l'amour est le repos et la jouissance de l'objet connu. La béatitude est une félicité procurée par un acte de l'intelligence. Il serait bon de commencer par cela même dans le cas de Dieu. C'est ce que fait st Thomas dans son Compendium: Dieu est intelligent (§ 28), Dieu est ce qu'il pense (§31), puis au § 32 Dieu est volonté, volonté qui ne diffère pas de son intelligence (§33). "Les deux perfections sont identiques à son essence" comme il a été déjà dit, l'essence et l'être sont identiques en Dieu. Il n'a pas d'attributs, de perfections, d'accidents qui s'ajoutent à sa substance, tout cela Dieu l'est.     
Avant de considérer la procession de l'Esprit, l'Amour en Dieu, vient la génération du Fils par le Père, ou pour éviter des confusions possibles, la conception du Verbe. Comme il a été dit, rien en Dieu diffère de sa substance, et ainsi le fruit de sa pensée divine, le concept engendré par son acte d'intelligence est nécessairement substantiel, est son être, alors que notre pensée n'est pas notre être, mais simplement un être "de raison" qui n'a pas d'existence substantielle à part de notre pensée. De même quand Dieu s'aime en se connaissant parfaitement soi-même dans l'infinie et la perfection de son essence, du fait que "le bien pensé est en lui-même aimable. Dieu est donc en lui-même comme l'aimé dans l'aimant ", c'est ce que nous nommons "l'Esprit qui est l'amour de Dieu". (§45 et 46).  
Le fait que l'intelligence et la volonté de Dieu soient substantielles, cela découle de son essence qui est l'acte même d'être. Comprendre cette notion éclaire tout le reste et écarte tout paradoxe entre le un et le trois, car les deux chiffres ne renvoient pas à la même chose. Le UN désigne l'essence même de Dieu qui ne souffre aucune différence, division, composition et le TROIS qui distingue en Dieu des processions réellement distinctes (ce qui est engendré est distinct de ce qui engendre, le Verbe est engendré par le Père et non l'inverse), mais cette distinction n'enlève rien à l'unique substance de Dieu en qui tout revient à l'unique acte d'être. Le chiffre trois n'est pas un nombre au sens mathématique d'une addition de trois éléments, c'est une distinction au sein d'une même et seule substance. Selon Aristote "les définitions signifiant des espèces sont comme des nombres". Ainsi le nombre, ce philosophe, est comparable à l'essence ou à la quiddité d'une chose. Ajouter ou retrancher quelque chose à la définition d'une espèce revient à changer l'espèce elle-même en changeant sa définition, comme en mathématique, ajouter un nombre à un nombre change le nombre.  
Le trois en Dieu n'est pas une addition ni une division de la substance, c'est une distinction réelle, non une simple distinction de raison, de propriétés propres au sein de l'unique substance de ce qu'on appelle traditionnellement les personnes de la Trinité. Dieu est son être, Dieu est son intellection, Dieu est son amour. En lui, de façon unique et exceptionnelle, tout acte est son être, toute faculté est sa substance. En rapportant l'être incréé de Dieu à notre portée d'être par participation de créature, l'illusion de perspective nous fait imaginer que les trois personnes divines sont comme trois personnes humaines, trois individus. Or Dieu est le suprême indivis. Son être, qui nous reste dans son essence même inconnu ici-bas, ne rentre pas dans nos catégories limitées. L'adjectif "seul" ne lui convient pas, sauf pour dire qu'il n'y a pas d'autres dieux que lui. C'est un terme de créature applicable à plusieurs individus d'une même espèce dans un même genre. Or en Dieu, il n'y a ni genre, ni espèce, ni individus.   
L'essence divine est numériquement une, elle est identique et unique dans les trois personnes de la Trinité. L'essence communiquée au sein de celle-ci est absolument "telle quelle est en elle-même", nous dit M. Gilson, car elle se communique sans intermédiaire de matière ou de sujet comme quand les créatures reçoivent l'être. Comme Dieu est son propre être, son essence est son être, et l'être communiqué naturellement en lui est identique à son être et à son essence. Le Verbe lorsqu'il est engendré, reçoit le même être que le Père, et l'essence communiquée est une seule et même essence dans les deux. En Dieu, acte pur d'être, il n'est pas irrationnel de maintenir une génération conciliable avec une essence ou une substance unique.

Le christianisme n'est aucunement un polythéisme. Si ces quelques lignes pouvaient éclairer quelques uns de nos frères humains qui en douteraient, notre joie serait grande. Nul besoin de faire appel à une unité dans la diversité, ni à une inutile solitude de Dieu qui comme on l'aura compris n'a aucun sens quand on parle de l'Etre absolu par soi.   

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