Pour le Père Bandelier, « Une Foi, mille questions »
Mon Père, Toujours passionné par votre œuvre apologétique, permettez-moi à nouveau d’apporter un peu d’eau à votre moulin, car il s’agit bien de cela. Le sujet me tient tellement à cœur, que je ne puis me retenir de vous importuner encore en espérant ne plus le faire avant longtemps.
Le sujet dont vous traitez dans votre article « diverses questions sur les évangiles », est sans doute la plus grande pierre d’achoppement pour les catholiques actuels, prêtres, religieux et fidèles. Nous croyons qu’il est en grande partie responsable de la défection des pratiquants et du relativisme religieux dominant.
C’est pourquoi, tout en appuyant votre thèse centrale qui consiste, sauf erreur de ma part, à rapprocher le plus possible les textes sacrés des évangélistes de la réalité historique, je me demande cependant si une de vos phrases ne pourrait faire penser à vos détracteurs que vous leur faites des concessions. Il s’agit de la suivante : « Comme l’enseigne le concile Vatican II, il est évident que ces quatre livrets ont été composés à partir de traditions antérieures, les unes orales et les autres écrites. » (F.C. n°1353 du 20 au 26 décembre 2003) Le lecteur « lambda », peu au courant du mouvement historico-critique et n’ayant pas sous la main les textes conciliaires, ne relèvera sans doute pas l’ambiguïté des mots « traditions antérieures ».
Ce n’est peut-être pas sans raison justement que le concile n’utilise pas ces mots. Car ils proviennent d’une longue « tradition » - dans ce cas présent le mot est légitime – issue du protestantisme allemand (à cause d’un refoulement antérieur de la critique biblique par les catholiques), héritée du philosophe Spinoza, copiée par Loisy et Renan au XIX et XXe siècles. L’école critique française a rajouté aux présupposés de l’idéalisme allemand, ceux du positivisme et du scientisme du XIXe. Si le travail d’un Père Lagrange reste louable, il ne faut pas oublier de quels présupposés proviennent les thèses enseignées dans nos séminaires et nos églises depuis des dizaines d’années : l’hébreu était une langue morte autour des années 30 de notre ère, le milieu ethnique judéen était privé d’écriture, le christianisme est une mythologie (donc produit par la communauté ou des communautés), ce qui est spéculatif est tardif ( donc S. Jean n’a pu composer son évangile que très tardivement), le plus simple précède le plus complexe (donc l’évangile de S. Marc est forcément le plus ancien). Quel est le bilan de ce système dominant depuis le XIXe et ruiné, entre autre, par les recherches de Madame Jacqueline Genot-Bismuth de la Sorbonne nouvelle (Un homme nommé Salut : la genèse d’une hérésie à Jérusalem (O.I.E.L) ? : les évangiles ont été composés par les communautés chrétiennes de la fin du Ier siècle. C’est ce que vous diront (témoignage direct) bon nombre de prêtres de tel Institut Catholique, et ce que répètent certains séminaristes qui ne font que transmettre ce qu’ils ont reçu. Mais regardons les fruits. Tel enseignant religieux spécialisé en exégèse, que j’ai entendu de vive voix, affirme ex professo que le Christ n’a pas fait de miracle parce que dans la bible tout est symbolique, la lecture littérale ne compte pas et finalement Dieu n’est pas un magicien. Tel prêtre me confie tranquillement qu’il a des doutes sur l’authenticité des paroles du Christ dans les Evangiles, peut-être 10 % viennent de lui et donc son vraies, les autres viennent des souvenirs, des ouï-dire, des ragots de la communauté chrétienne. Aussi ce qu’il me disait avec raison (nous ne pouvons pas dire avec « honnêteté » vis-à-vis de ses paroissiens) revenait en gros à ceci : « lorsque je lève l’Evangile en disant « acclamons la parole de dieu », je ne suis pas sûr que ce soit vrai ». C’est une très bonne question à se poser lorsqu’on a charge d’âmes et qu’on va passer sa vie à renoncer à beaucoup de choses pour un Royaume aussi incertain.
Parler de « tradition orales antérieures » revient à mon avis à emboîter le pas à cette école ravageuse. C’est pourquoi j’ai préféré vous le signaler ; je ne crois pas que vous faites pas partie de ceux qui pensent que les évangiles se sont formés progressivement à partir de traditions orales par une accumulations de on-dit plus ou moins vérifiables, par un auto enrichissement, par un système dans lequel il y a plus de choses au terme qu’au point de départ et dont la conclusion est que ces textes ne sont absolument pas fiables.
Après cette longue parenthèse, revenons à Vatican II. Le concile ne parle pas de « traditions antérieures » mais parle de « détails entre beaucoup de ceux que la parole ou déjà l’écriture avaient transmis », ce qui n’est pas la même chose, surtout si l’on tient compte de l’ensemble du texte en question. La finalité est d’ailleurs « de pouvoir ainsi toujours nous communiquer des choses vraies et authentiques sur Jésus », les fruits sont donc bien différents de ceux d’une certaine critique biblique.
Mais qui sont ces auteurs sacrés d’après Vatican II ? Les communautés chrétiennes ? Tel ne semble pas être l’avis des Pères conciliaires. Il suffit de revenir quelques lignes plus haut pour sans rendre compte : « cet ordre (de prêcher l’Evangile à tous) a été fidèlement exécuté par ces Apôtres et ces hommes apostoliques qui, sous l’inspiration du même Esprit-Saint, ont consigné par écrit le message du salut » (II, 7) La phrase peut être comprise de deux façons, selon que le sujet du verbe « consigner » est « ces Apôtres et ces hommes apostoliques » ou « ces hommes apostoliques » tout seul. La première hypothèse ferait de Matthieu et de Jean les auteurs de leurs évangiles. Est-ce là scandaleux ? Oui pour ceux dont les préjugés font des judéens une bande d’illettrés, pour ceux qui à la suite de Kant, Fichte, Hegel, Nietzsche et Heidegger, dans leur mépris pour le judaïsme et le Dieu de l’Ancienne Alliance pensent qu’un lettré et un penseur ne peut être qu’un Grec et non un Hébreu. De plus le passage que vous citez permet une telle lecture : « les auteurs sacrés ont composé les quatre évangiles (…) soit d’après leur propre mémoire, leurs propres souvenirs, soit d’après le témoignage de ceux « qui furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la parole » (II,19) Certains auteurs écrivent d’après leur propres souvenirs. Souvenirs de quoi ? Des souvenirs d’autres personnes ayant été des témoins oculaires ? Non, ceux-ci font partie du deuxième groupe, ceux qui écrivent d’après le témoignage de témoins directs. Il semblerait que le concile admette la possibilité que certains auteurs aient vu ce qu’ils écrivent, comment ne pas penser à Jean ou à Matthieu ? Les autres écrivent d’après le témoignage de témoins oculaires, comment ne pas penser à Luc ou à Marc ? Quoi qu’il en soit, les auteurs ont écrit leurs textes du vivant des témoins directs, une rédaction tardive faite par des communautés entières au fil des années est donc à reléguer dans les fantasmes philosophiques de l’idéalisme allemand et du modernisme français.
Lorsque le concile dit que les auteurs sacrés ont « [trié] certains détails entre beaucoup de ceux que la parole ou déjà l’écriture avaient transmis », il ne voudrait donc pas signifier par-là que tous les auteurs ont transmis ce que d’autres hommes leur avaient transmis, ce qui serait « la tradition » au sens habituel, qui dans la mentalité des gens s’étale généralement sur plusieurs générations au moins, mais plutôt que le travail de compilation s’est opéré très tôt par des auteurs dont certains ont vécu ce qu’ils racontent. Les auteurs sacrés seraient non pas en aval de la tradition, mais en amont de la Tradition, certains d’entre eux ayant vécu en présence du Verbe.