Sagesse chrétienne
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Nous avons visionné, l'an dernier, un débat par vidéos Youtube interposées, entre le Père Guy Pagès et Arnaud Dumouch, professeur de religion en Belgique. Ce débat nous semble mériter quelques réflexions après un temps de recul et de méditation. Ce dernier, qui se présente aussi comme théologien de profession, est le fondateur du site internet Docteur Angélique qui propose des cours selon l'esprit de st Thomas d'Aquin. Chose curieuse, dans sa vidéo intitulée "Marthe Robin parle du purgatoire et des suicidés", ce disciple du Docteur Commun, ne cesse de critiquer la théologie de st Thomas sur le sujet ô combien important du salut des âmes. Il y a deux camps nettement délimités: celui de l'ancienne théologie composée par les scolastiques en général et de st Thomas et des thomistes en particulier, puis en face, celle de Vatican II et de Marthe Robin.         

 Ne nous étonnons pas qu'avec cela, le Père Pagès intitule sa vidéo "l'hérésie d'Arnaud Dumouch", hérésie qui entraîne dans son passage la spiritualité de Marthe Robin puisqu'il se base sur sa vie et ses paroles pour soutenir ses thèses. Si nous avons à faire à une théologie nouvelle qui rend caduque celle qui a existé depuis 2000 ans et s'il a fallu attendre Marthe Robin et le concile sorti de son inspiration pour enfin découvrir la vraie théologie de la mort et du salut, soit M. Dumouch est le plus grand théologien de la vraie religion enfin comprise, soit il propose une théologie hétérodoxe qui lui mérite l'appellation d'hérésiarque. D'autant plus qu'il affirme que l'enseignement de Marthe "sur ce point-là change toute la théologie; on passe du Dieu conçu par la scolastique qui change de personnalité, plein de miséricorde avant la mort mais tout de même se cachant et d'une stricte justice après la mort, à un Dieu qui ne change pas, plein de miséricorde pendant la mort, et après la mort tout en étant toujours juste". Selon les paroles mêmes de M. Dumouch, non seulement nous ne sommes plus en présence d'une théologie identique, mais nous ne parlons plus non plus du même Dieu. Ce n'est donc pas rien comme changement, plus qu'une réforme, c'est une révolution.    
   Une dernière hypothèse est envisageable. Peut-être la pensée de M. Dumouch est-elle simplement embrouillée et, mélangeant les bonnes semences avec l'ivraie, abouti à des confusions qui en limitent la portée et l'importance.      

    Allons directement au cœur du problème. M. Dumouch constate avec raison que du temps de st Thomas la théologie refusait aux enfants morts sans baptême la vision béatifique et ainsi les privait du salut et les punissait de damnation sans faute de leur part. De plus, l'Eglise refusait la sépulture aux suicidés tellement ce péché était grave. Or le frère suicidé de Marthe, Henri (que Dumouch qualifie de "parpaillot" alors qu'il n'a rien d'un protestant), d'après des visions de celle-ci, aurait été sauvé et même n'aurait quasiment pas fait de purgatoire grâce aux souffrances offertes de sa sœur pour son salut. S'appuyant sur un passage de Gaudium et Spes du Concile Vatican II, M. Dumouch en arrive donc à la conclusion que depuis 1965, la théologie de l'Eglise n'est plus la même. Ce qui était vrai hier concernant le salut des âmes n'est plus vrai aujourd'hui. La vision de l'Eglise a changé parce que les conditions de la mort ont changé et que le jugement divin ne se fait plus de la même façon. Sur quel argument se base-t-il? 
Les scolastiques et anciens thomistes se trompaient lorsqu'ils disaient que la mort n'était qu'un instant alors qu'en fait elle est un passage, comme le dit la "définition biblique: la mort est un passage et même parfois un séjour où le Christ est descendu, où il a prêché aux hommes morts lors du déluge, dans l’Hadès, le shéol. Il est curieux d'évoquer ce séjour des morts qui n'a plus lieu d'être depuis la résurrection du Christ. On pourrait aussi le nommer les "limbes", mais M. Dumouch refuse l'existence d'un tel séjour comme on l'a dit ci-dessus,ce en quoi il a raison. La répartition entre les lieux des séjours des morts ne se fait plus qu'entre l'enfer, le purgatoire et le paradis, mais ceci ne se fait qu'après le jugement immédiat au moment de la mort. M. Dumouch rajoute à nouveau un séjour intermédiaire qui n'existe pas dans la théologie catholique en s'appuyant sur ce séjour caduc des justes morts avant la résurrection. La comparaison n'est pas valable.        Henri Robin est "mort en état de péché mortel" or d'après Marthe "ce suicidé est sauvé" ce qui "est impossible pour un ancien thomiste, on est en dehors du dogme, ça s'est passé après la mort, mais il n'y a pas de salut après la mort." Dumouch de rappeler la Constitution Benedictus Deus du pape Benoît XII: "après la mort tout homme trouvé sans la grâce est aussitôt conduit en enfer pour y recevoir des peines diverses". Il ne fait qu'exposer l'enseignement bimillénaire de l'Eglise, de tous les conciles, de tous les Docteurs de l'Eglise et des Pères: le Christ seul nous sauve en nous conférant sa grâce sanctifiante qui est l'unique moyen absolu et incontournable du salut. C'est là un passage incontournable pour un catholique. On n'est pas catholique si on n'adhère pas à cette position principe de tout.         

 C'est d 'ailleurs parce que la grâce est nécessaire pour la vision béatifique que st Thomas a pensé devoir la refuser aux enfants morts sans baptême, et donc non purifiés de la souillure du péché originel. Cela dit, leur sort n'était pas celui des damnés: béatitude naturelle, pas de souffrance due à la privation de la vision car ignorance de celle-ci, pas de peine du sens. Dans les limbes, ces enfants avaient une sorte de béatitude de pure nature telle qu'elle aurait été possible pour des êtres n'ayant pas atteint l'âge de la raison. Mais reconnaissons-le, st Thomas s'est trompé et a été heureusement corrigé par Benoît XVI. Comme pour l'immaculée conception, il n'a pas pu embrasser tout le vaste champ des conséquences de ses principes théologiques, et Dieu a permis qu'il se trompe et que d'autres, avec le temps et l'approfondissement du dogme, découvrent les implications plus larges de ces mêmes principes. Car dans le fond Thomas a raison, la grâce est nécessaire, mais Dieu n'est pas prisonnier de ses règles générales, de ses sacrements, du temps. 

Si cet immense théologien avait poussé un peu plus en avant son explication lumineuse sur la miséricorde divine dans son article 3 de la question 21 de la première partie de sa Somme Théologique, il aurait pu éviter de se tromper à la fois sur le sort des enfants morts sans baptême et sur le dogme de l'Immaculée Conception. Puisque être miséricordieux c'est être "affecté de tristesse à la vue de la misère d'autrui comme s'il s'agissait de la sienne propre", et par conséquent, on "s'efforce de faire cesser la misère du prochain comme on ferait pour la sienne", et puisque la misère est "une déficience quelconque", par la miséricorde "les déficiences sont supprimées par l'octroi de quelque bonté". Or les enfants ne sont pas responsables de la déficience de leur baptême. On peut légitimement et raisonnablement penser que la bonté de Dieu va jusqu'à suppléer ce manque involontaire de la part des enfants, et cette déficience due aux parents. De même que la miséricorde de Dieu a donné un surcroît de bonté et de grâce en préservant par avance et anticipation des mérites du Christ en croix, sa sainte mère du foyer de péché contracté par la chute originelle. Cette déficience héritée par le genre humain, au lieu d'être enlevée immédiatement après la conception comme le pensait saint Thomas, pour que Marie bénéficie comme toute créature de la grâce régénératrice, purificatrice et salvifique du salut, a été supprimée avant même sa conception par grâce spéciale. 

Si Dieu donne à chacun ce qui lui est dû en raison de sa nature et sa condition, "lui-même n'est pas pour autant débiteur; car lui-même n'est pas ordonné aux autres, mais les autres à lui". Dieu peut donner plus à certains qu'aux autres sans pour autant léser quiconque, comme on le lit dans la parabole des ouvriers de la onzième heure. Son supplément de bonté, pour la mission spéciale de Marie, octroie une grâce spéciale qu'aucune autre créature n'a eue, à savoir une conception sans trace du péché. Seuls Adam et Eve avaient commencé leur vie ainsi, mais on ne peut pas parler de naissance dans leur cas de figure, puisqu'ils n'ont pas eu de géniteurs humains.

   

Dumouch accuse "le camp thomiste" d'avoir caricaturé la théologie Marthe Robin, en en faisant une théologie de la facilité, "c'est mai 68", qui "enlève toute envie d'évangéliser". D'après M. Dumouch, la seule chose que ça enlève est un motif, celui "de la peur de la damnation, la peur que Dieu punirait des gens parce qu'ils ne le connaissaient pas, mais ce motif-là était un moteur d'évangélisation, mais en même temps c'était si peu connaître Jésus". Où a-t-il lu dans st Thomas que Dieu envoyait en enfer des gens qui étaient dans l'ignorance des commandements du christ ? Ce qu'il dit en effet est que tout homme est jugé par la loi naturelle qui est le reflet de la loi divine dans notre conscience. Nul n'est sensé ignorer les principes moraux issus du décalogue qui sont comme gravés dans notre conscience. L'Eglise n'a pas attendu Vatican II pour penser que les païens seront jugés selon leur bonne foi, selon la loi naturelle et selon "ce qu'ils auront connu et accompli, non sur ce qu'ils auront ignorés de la loi" ( Encyclique Quanto conficiamur de Pie IX).
Thomas a bien enseigné que l'ignorance involontaire de l'aspect peccamineux d'un acte, et en tenant compte des circonstances, pouvait excuser le péché. Nous sommes de ce fait surpris que M. Dumouch parle de "péché mortel d'ignorance" car pour être mortel un péché doit se commettre avec une advertance entière à la malice de l'acte. Il y a théoriquement incompatibilité entre les deux notions.       

Pour revenir à la rétribution selon les actes terrestres, n'est-ce pas ce que l'on retrouve dans les Évangiles? Jésus dit-il qu'après la vie terrestre on aura tout le temps de rattraper ce qui n'aura pas été fait de notre vivant? N'est-ce pas plutôt l'inverse ?
  Que dit-il de l'homme qui amasse des richesses dans son grenier sans penser à l'au-delà: " Insensé! cette nuit même on va te redemander ton âme; et ce que tu as préparé, pour qui sera-ce? " Lc, 12, 2.  "Cette nuit même", c'est à dire quand tu vas mourir, tu devras rendre des comptes sur l'état de ton âme. Pensons aux vierges folles: "Au milieu de la nuit, un cri se fit (entendre): " Voici l'époux! Allez à sa rencontre!" Pendant qu'elles vont acheter de l'huile, l'époux arrive et entre dans la salle des noces et la porte fut fermée. Le maître ouvre-t-il à nouveau la porte pour les retardataires ? Plus tard, les autres vierges vinrent aussi, disant: " Seigneur, Seigneur, ouvrez-nous! " Mais il répondit: " En vérité, je vous le dis, je ne vous connais pas."  A quoi sert de dire "Donc veillez, car vous ne savez ni le jour, ni l'heure" (Mt 25,5-13) et "Sachez-le bien, si le maître de maison savait à quelle veille le voleur doit venir, il veillerait et ne laisserait pas percer sa maison. Tenez-vous donc prêts, vous aussi, car c'est à l'heure que vous ne pensez pas que le Fils de l'homme viendra" (Mt, 24,43-44) si nous avons le loisir de reporter à après la mort les actes qui déterminent notre éternité. Quand Jésus dit au bon larron:" Je te le dis en vérité, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis" (Lc, 23, 43), l'Eglise voit là une rétribution immédiate après la mort. Comme le dit le sage biblique, il y a un temps pour tout, pour la miséricorde puis la justice, pour le repentir, la conversion puis le jugement et la récompense ou le châtiment. Si rien n'est ordonné et juste, c'est le chaos et l'anarchie. Dieu est bon et juste à la fois, "Amour et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s'embrassent"(Ps 85), car il ne fait rien sans sagesse, ordre et vérité, et d'après saint Thomas, dans ce psaume, le mot "vérité" est synonyme de "justice" (S.T. I, 21, 2, resp.). Dieu ne peut contredire sa vérité en agissant contre sa justice, sa miséricorde ne peut pas être "un relâchement de sa justice" mais plutôt "une plénitude de justice"(S.T, 21, 3, ad.2) qui ne vient pas supprimer la justice mais la dépasser, car Dieu est bonté et don, et vient suppléer aux déficiences de ses créatures. Pardonner, restaurer la nature déchue, sont des prérogatives qui appartiennent au Créateur qui en tant que cause première de tout, à qui tout est dû, donne forcément plus qu'il ne reçoit aux causes secondes. Sa bonté déborde dans tout ce qu'il fait. 

Quand M. Dumouch attribue au thomisme une justice distributive post mortem sans miséricorde "parce que techniquement le païen va en enfer", le suicidé également et les enfants morts sans baptême vont dans les limbes, cela n'est pas correct. La justice distributive qui "attribue à chacun ce qui lui revient selon son mérite"ne concerne pas les enfants morts sans baptême car ils n'ont pas mérité ou démérité selon leurs actes, mais ont été souillés par le péché originel. De même que la justice divine "dépasse toute la proportion de la créature", elle n'est jamais séparée de la miséricorde, et les deux "ne se montrent pas moins dans la conversion des Juifs que dans celle des païens" selon saint Thomas. Cette conversion, nous l'avons déjà dit, ne concerne pas ceux qui sans faute de leur part n'ont jamais eu l'occasion d'entendre parler de l’Évangile du salut. Nous reviendrons bientôt sur le cas des suicidés.

Alors que M. Dumouch reproche au thomisme d'être sans miséricorde après la mort parce qu'après vient la justice de Dieu qui rétribue les hommes selon leurs actes sur terre, il reprend curieusement l'image de l'arbre qui reste à terre là où il est tombé, en l'attribuant au curé d'Ars, alors que c'est un bien commun de l'Eglise puisqu'elle provient des Saintes Écritures elles-mêmes. St Bernard cite cette phrase de l'Ecclésiaste 11, 3 dans son sermon 85 et st Thomas dans son Compendium I, 174 justement pour montrer que l'âme "au moment de la mort" "demeurera à jamais" dans l'état qui est le sien". Ainsi après cette vie, ceux qui seront trouvés bons dans la mort auront pour toujours leur volonté confirmée dans le bien, ceux qui seront trouvés mauvais seront toujours obstinés dans le mal".         

 M. Dumouch pense pouvoir changer les conditions de la mort en opérant un changement de vocabulaire. La mort est un passage, pas un instant. Ce qu'il ne voit pas est que l'un n'empêche pas l'autre. St Thomas n'a jamais dit qu'il n'y avait pas un passage dans la mort. Tout théologien sait que la Pâques vient du mot "pessa'h" hébreu qui signifie le passage de l'Egypte à la terre promise, symbole précurseur du passage de la mort à la vie éternelle. Qu'est-ce qu'un passage sinon le changement d'un état à un autre, ou le franchissement d'un espace délimité ? Or pour Thomas, la mort est bien un mouvement d'un état à un autre, de l'union du composé substantiel de l'âme et du corps à la séparation momentanée (en attendant la résurrection ) de ce composé. Cela ne s'oppose pas à ce qu'avec la mort, on passe d'un mode d'existence à un autre, d'un ordre temporel à un ordre éternel. Le temps, succession d'instants qui se suivent, laisse la place à une éternité tota simul. Doit-on dire une "durée", ou un "instant", ou un "moment" indivisible, immuable pour cet ordre qui échappe à notre connaissance mais où tout se tient tout entier à la fois dans l'éternité de Dieu? Voilà cependant l'état dans lequel entre l'âme au moment de la mort, un état où les mots "heures", "jours" et "semaines" n'ont plus de sens. M. Dumouch espère en une sorte de deuxième chance après la mort, un autre temps de vie pour ceux à qui 80 ans sur terre n'auraient pas suffi pour se préparer à la vie éternelle, un séjour de rattrapage en quelque sorte.         

 Nous maintenons avec l'enseignement constant de l'Eglise qu'il y a un jugement particulier aussitôt après la mort tel que cela a été défini par le concile de Florence, ce qui n'empêche pas le salut d'Henri Robin, ni que selon l'histoire rapportée par le curé d'Ars, une femme qui voulait se suicider ait pu se repentir "entre le pont et l'eau" (ce qui va d'ailleurs dans le sens de la conversion avant la mort et non après la mort). En effet, selon Mgr de Ségur, "il reste toujours dans l'impénétrable mystère de ce qui se passe entre l'âme et Dieu au moment suprême, de quoi ne pas désespérer. Qui dira ce qui se passe au fond des âmes, où chez les plus coupables, dans cet instant unique où le Dieu de bonté, qui a créé tous les hommes par amour, qui les a rachetés de son sang et qui veut le salut de tous, fait nécessairement, pour sauver chacun d'eux, son dernier effort de grâce et de miséricorde? Il faut si peu de temps à la volonté pour se retourner vers son Dieu."      
 Il y a également suicide et suicide. Avant Vatican II, la doctrine catholique disait déjà que le motif du suicide pouvait disculper l'auteur de l'acte, en cas de fièvre, de déraison, d'accident. Qui sait à quel point Henri Robin était dépressif, malade, plus vraiment maître de lui-même. Et même en absence de toute circonstance atténuante, le repentir est possible au moment même de l'acte. Mgr de Ségur recommandait d'éviter d'envoyer tout le monde en enfer par excès de justice et tout le monde au ciel par une charité indiscrète. Il ajoutait que c'était "une erreur de vouloir juger des choses qu'il n'est pas donné à l'homme de connaître ici-bas".         

  M. Dumouch a raison de vouloir étendre la possibilité du salut à toutes les âmes, à commencer par les enfants innocents morts sans baptême. Ce fut là une erreur théologique qu'il fallait corriger et qui l'a été. Cela étant dit, pour le reste, rien n'est à changer dans la théologie traditionnelle et les expériences personnelles de Marthe Robin ne s'opposent pas au fait qu'au moment de la séparation de l'âme et du corps, phénomène appelé communément la mort et à cause duquel le corps, n'étant plus animé par son principe formel d'animation, d'organisation devient un cadavre, un assemblage de matière sans organisation, sans vie, qui va se désagréger et disparaître, la vie terrestre prenant fin, un bilan soit dressé. Devant Dieu qui, dans son éternité et sa science totale des êtres qu'il a créé, connaît la vie de l'homme avant même qu'elle ne commence, rien n'est caché, tout apparaît simultanément et entièrement. Le jugement de la conscience dépend des actes posés de notre vivant, aucun mérite et démérite n'est possible ensuite. La volonté est trouvée bonne ou mauvaise à notre mort et la vision du Christ mettra encore plus en lumière ce qui est bien et mal, les moindres détails apparaissant davantage en plein soleil que dans une semi obscurité. Bien loin de convertir l'orgueilleux et l'ennemi de Dieu, il est à craindre que cette vision glorieuse du Christ exacerbe la haine de celui qui s'est préféré lui-même à son créateur. Comment celui qui n'a jamais été humble va soudainement s'abaisser lorsqu'il va se rendre compte soudainement que durant toute sa vie il a été dans l'erreur ? Ne va-t-il pas fuir la lumière pour se réfugier dans une caverne telle une chauve-souris surprise pas un rayon de lumière insupportable à ses yeux de créature de la nuit? 
Avant même le moment de la mort, demande st Bernard dans un de ses sermons: "comment peuvent-ils imaginer qu'en une heure de temps ils pourront rappeler à eux tous les membres de leur âme, alors que ceux-ci, par les convoitises et les désirs mauvais, sont disloqués et dispersés à travers le monde entier, enfoncés dans toute espèce de boue et retenus en tous lieux par la glu de l'envie". Si cela est difficile une heure avant la mort, combien cela le sera-t-il au moment du jugement où l'âme sera mise à nue sans feinte possible?    
Si pour les âmes endurcies la conversion de dernière minute ou au moment du passage ne va pas de soi sans être impossible, que doit-on penser des âmes de bonne volonté qui chutent peu avant la mort par faiblesse et arrivent au ciel en état de péché mortel? Ne peut-on espérer qu'un acte de contrition parfaite, qui est aussi un acte de charité parfaite, remette cette faute même s'il y a impossibilité matérielle pour le défunt d'avoir recours au sacrement de pénitence ainsi que le veut l'Eglise depuis le concile de Trente?  Le Christ lui-même, en cette occasion unique, ne peut-il pas suppléer le prêtre, lui qui est le seul grand prêtre et l'agent premier de ce sacrement? 

      La théologie de M. Dumouch est sans doute plus naïve qu'hérétique, elle pourrait représenter un danger si elle induisait les âmes en erreur en leur laissant penser que finalement ce que nous faisons sur terre n'est pas trop grave puisque nous avons une deuxième chance au ciel pour tout reprendre et réparer, alors qu'il prend au sérieux dans le même temps les paroles de la Sainte Vierge à Fatima qui dit que beaucoup d'âmes vont en enfer. C'est un peu contradictoire si la vision du Christ, si bon et miséricordieux pendant ce stage de rattrapage, permet quasiment à tous les jeunes morts sans avoir bien vécus, selon Dumouch citant Marthe, de faire le bon choix après la mort. Mais peut-être n'y a-t-il que des vieux en enfer et au purgatoire. La vieillesse a certes tendance à raidir les positions et les convictions, à figer les mauvaises habitudes, cependant cela paraît excessif de l'imaginer. Espérons que les moins jeunes aient aussi leur chance. En fait les paroles de Notre Dame de Fatima sont fortement atténuées, puisque notre professeur de religion pense humblement "qu'on devrait traduire plutôt : beaucoup vont au purgatoire parce qu'ils se trouvent personne pour prier pour eux". Ce n'est pas tout à fait la même chose convenons-en. La Vierge a-t-elle pris un mot pour un autre sans s'en rendre compte? Le purgatoire vaut-il l'enfer? M. Dumouch est-il un interprète autorisé des paroles de la Mère de Dieu? 
Certes, il se défend de prêcher un salut facile en précisant que les péchés seront payés par des peines équivalentes au moins au purgatoire, et qu'on ne pèche pas en toute impunité. Les peines temporelles ne sont pas éliminées. Il reste néanmoins le cas le plus grave des peines éternelles qui est celui qui nous intéresse dans le présent débat. Il nous paraît opportun de ne pas tomber dans un optimisme trop naïf. N'oublions pas que la répétition de nos actes modèle en quelque sorte notre âme et ses facultés. Ce que st Thomas appelle les habitus, les vertus dans le bien et les vices dans le mal, forment de véritables plis dans la volonté, l'intelligence, dans nos actes pratiques et intellectuels, si bien que ces dispositions finissent par ressembler à une seconde nature. Or la grâce ne détruit pas la nature mais la rend parfaite et l'achève. Au soir de notre vie, Dieu va-t-il miraculeusement tout restaurer ce qui aura été tordu et perverti par nos actes dans notre nature, ou va-t-il nous demander des comptes sur ce qu'on aura fait de nos talents et nous scruter tels que nous sommes? Une conversion de dernière minute est toujours possible, surtout grâce aux prières et aux sacrifices de saintes âmes, mais il est risqué de parier sur un hypothétique changement in extremis

Ainsi, le Christ notre juge viendra-t-il en médecin comme au premier avènement, prêchant la conversion et la pénitence, guérissant les malades, expulsant les démons, et pardonnant nos péchés? Non ,dans sa parousie, il se manifestera dans sa gloire pour récolter la moisson. Le jugement général et final est précédé d'un premier jugement particulier qui scelle déjà le sort de l'âme seule en attendant qu'elle soit réunifiée à son corps. Ce premier jugement par certains côtés ressemble au final, c'est donc le même Christ en gloire devant lequel se tient l'âme à nue, certes un Christ toujours bon et miséricordieux, mais dont cette miséricorde n'introduit aucune contradiction avec l'essence divine qui est autant bonté que vérité et justice. La bonté de Dieu est son être comme sa droiture et sa vérité sont son être. Tout sera fait dans la vérité et la bonté. Cette bonté fait que la justice divine dépasse toujours les mesures de la justice humaine, de sorte que, "quand il s'agit de ce qui est dû à quelque créature, Dieu, dans sa surabondante bonté, dispense des biens plus que n'exige la proportion de la chose. En effet, ce qui serait suffisant pour observer l'ordre de la justice est au-dessous de ce que confère la bonté divine, laquelle dépasse toute la proportion de la créature"(S.t. I, 21, 4, resp.). Saint Thomas enseigne que "dans la damnation même des réprouvés la miséricorde apparaît, non pour une relaxe totale, mais pour une certaine atténuation, car Dieu punit en deçà de ce qui est mérité". 

Mais là encore il faut faire confiance à st Thomas lorsqu'il écrit que "l'âme n'étant soumise au changement qu'accidentellement et à cause du corps, aussitôt qu'elle est séparée du corps elle possède un statut immuable et reçoit son jugement. Le corps, au contraire, demeure soumis au changement jusqu'à la fin du temps. Il faut donc qu'il reçoive alors sa récompense ou son châtiment dans le jugement final" S.T. III, qu.59, a.5, ad.3                                                                                

C'est généreux de vouloir sauver tout le monde, pourvu que ce ne soit pas trop téméraire et présomptueux. Nous appliquerons pour notre part le principe de précaution et nous nous en tiendrons à la position traditionnelle de l'Eglise en misant tout sur la préparation ici-bas et non sur la procrastination dans l'au-delà. "Ne tarde pas à revenir au Seigneur et ne remets pas jour après jour, car soudain éclate la colère du Seigneur et au jour du châtiment tu serais anéanti." Sirac 5, 7.   

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