Le Concile s’arrête là et ne fait pas mention de l’intercession des défunts pour les vivants. L’inverse, lui, a toujours été enseigné par l’Eglise : « Dès les premiers temps, l'Eglise a honoré la mémoire des défunts et offert des suffrages en leur faveur, en particulier le sacrifice eucharistique (cf. DS 856), afin que, purifiés, ils puissent parvenir à la vision béatifique de Dieu. L'Eglise recommande aussi les aumônes, les indulgences et les œuvres de pénitence en faveur des défunts » (n°1032). Les numéros 1055, 1371, 1414 et 1479 font tous référence à l’aide que les vivants peuvent apporter aux âmes du purgatoire, par leurs prières et leurs sacrifices, les indulgences, l’offrande eucharistique afin « qu'ils soient acquittés des peines temporelles dues pour leurs péchés ».
Cette peine soufferte au purgatoire est la première raison que donne saint Thomas pour prouver que les âmes défuntes privées de la béatitude ne sont pas en état de prier pour nous. A cause de cette souffrance du feu purificateur, elles sont dans un état d’infériorité par rapport à nous, bien qu’elles soient supérieures par leur impeccabilité, parce qu’ils ne peuvent plus pécher (Somme Théologique, II-II,83, 11).
La deuxième raison qui fait que saint Thomas n’admet pas l’aide des âmes du purgatoire encore en état de purification, vient de ce que ces âmes ne jouissent pas encore de la vision de Dieu, et sont de ce fait coupées du monde des vivants, comme nous sommes également coupés du monde invisible du ciel ainsi que de la pensée des autres hommes sur terre: « Ceux qui sont en ce monde ou dans le purgatoire ne jouissent pas encore de la vision du Verbe. Ils ne peuvent donc pas connaître ce que nous pensons ou disons. C'est pourquoi nous n'implorons pas leurs suffrages par la prière, sinon en ce qui concerne les vivants, par nos demandes » (
ibid, 4, sol.3). On peut demander de l’aide à un homme vivant en lui adressant directement notre demande, mais cela n’est pas possible de le faire avec quelqu’un qui est au purgatoire car il n’y a pas moyen de s’adresser à lui. Les morts « ne savent pas ce qui se passe en ce monde, surtout dans l'intime des cœurs ». Si l’on peut prier les saints pour qu’ils intercèdent pour nous, c’est parce qu’ils « découvrent dans le Verbe ce qu'ils doivent connaître de ce qui nous arrive, même quant aux mouvements intérieurs du cœur » (
ibid, sol.2). Ils savent nos demandes « parce que Dieu les leur découvre ». La vision béatifique est donc nécessaire pour que ceux à qui nous adressons nos prières puissent les connaître. Les âmes du purgatoire, ne jouissant pas de la vision, ne peuvent pas, de ce fait, connaître nos prières de demande.
Nous trouvons personnellement qu'il est incongru de dire qu'il n'y a pas d'intercession plus efficace que celle des âmes du purgatoire, comme il nous arrive de l'entendre. Au nom de quoi les âmes en état de sainteté aurait moins de poids que celles qui ne le sont pas encore. N'est-il pas plus sensé de penser que la perfection l'emporte sur l'imperfection, que la bonne santé permet de mieux agir que la maladie, que la force agit mieux que la fragilité?
L'argument serait de dire que la souffrance est semence de grâces. Mais pour reprendre l'image agricole, la semence jetée en terre ne produit pas immédiatement le blé. Les souffrances des âmes du purgatoire peuvent porter du fruit, mais comme nous l'avons dit, ce fruit est distribué et efficace une fois dans la vision et la pleine communion du Christ. Le Christ lui-même, a vaincu la mort par sa souffrance sur la croix, mais les fruits de sa passion ne se sont fait ressentir qu'après sa mort: "les tombeaux s'ouvrirent et de nombreux corps de saints trépassés ressuscitèrent: ils sortirent des tombeaux après sa résurrection, entrèrent dans la Ville sainte et se firent voir à bien des gens". (matthieu, 27, 52)
Comment comprendre le rajout du CEC qui semble s’opposer à l’enseignement de saint Thomas. Il ne peut y avoir que trois explications : soit saint Thomas se trompe, soit le CEC s’est permis un ajout qui passe la mesure de la doctrine du Concile, soit la fin de la phrase est à comprendre dans un certain sens restreint. Nous optons pour la troisième solution : les âmes défuntes peuvent intercéder pour nous une fois leur peine terminée, et appliquer à ce moment-là les mérites de leurs souffrances. Nous pouvons ainsi prier les défunts en décalage, ne sachant pas quand ils seront libérés de leurs peines, dans l’anticipation de la vision. Cette solution permet de réconcilier tout le monde.