Nous nous rendons compte au hasard de nos lectures que le numéro 2267 de notre Catéchisme de l’Église Catholique en version papier n'est plus valable car il a été changé sous le pontificat du pape François. Nous sommes passés de cas rares ou inexistants d'absolues nécessités de la peine de mort sous Jean-Paul II à sa totale « inadmissibilité ». On nous dit qu'il y a toujours continuité dans l'enseignement d'un pape à l'autre, mais il nous semble que l'on soit monté d'un cran vers un changement de la doctrine traditionnelle, même si Jean-Paul II a ouvert la voie, mais pas pour les mêmes raisons. Nous commentons point par point le nouveau texte ainsi que les commentaires faits par l’évêque en blanc, comme François aime à s’appeler :
Pendant longtemps, le recours à la peine de mort de la part de l’autorité légitime, après un procès régulier, fut considéré comme une réponse adaptée a la gravité de certains délits, et un moyen acceptable, bien qu’extrême, pour la sauvegarde du bien commun.
La peine de mort était une réponse adaptée à la gravité de certains délits car on estimait que la sanction devait être proportionnée à l'acte, comme pour saint Thomas « la peine est proportionnée au péché ». Le pire crime, ôter la vie à un innocent était puni de la façon la plus sévère, on rachetait la vie enlevée par la sienne. C'est peut-être la loi du talion mais ce n'est pas insensé. De plus la sauvegarde du bien commun ne se faisait pas qu'en écartant définitivement le citoyen dangereux, la punition était regardée comme un moyen médicinal. La peine capitale servait d'exemple pour dissuader les meurtres. C'était considéré comme plus dissuasif et efficace que d'encourir quelques années de prison et de pouvoir récidiver dès sa sortie comme nous le démontrent régulièrement les faits divers.
On a également mis au point des systèmes de détention plus efficaces pour garantir la sécurité à laquelle les citoyens ont droit, et qui n’enlèvent pas définitivement au coupable la possibilité de se repentir.
Est-ce par souci d'efficacité que la peine de mort était mise en œuvre jadis? Le bagne en Guyane ne mettait-il pas en sécurité les citoyens français ? Si la peine de mort existait parallèlement n'était-ce pas pour d'autres raisons ? La peine de mort n'enlevait pas définitivement la possibilité de se repentir puisqu'il y avait un laps de temps parfois assez long entre la sentence et l'exécution. Jacques Fesh dont le procès en béatification est en cours en est un bon exemple. Ce jeune homme aurait-il fait la spectaculaire conversion qu'il a faite en prison dans l'attente de son exécution, s'il n'avait été condamné qu'à une ou deux dizaines années de prison? Il serait peut-être devenu pire qu'avant, comme cela arrive souvent à cause du mauvais exemple des codétenus et de l'ambiance délétère qui y règne.
Aujourd’hui on est de plus en plus conscient que la personne ne perd pas sa dignité, même après avoir commis des crimes très graves.
Quel théologien, quel pape a dit que la personne perdait sa dignité après avoir commis un acte grave, un péché mortel? Qu'est-ce que la dignité de l'homme selon l'Eglise ? Le mieux est de donné la parole aux Pères conciliaire de Vatican II pour voir si l'on s'écarte de la définition classique : « En vertu de leur dignité, tous les hommes, parce qu'ils sont des personnes, c'est-à-dire doués de raison et de volonté libre, et, par suite, pourvus d'une responsabilité personnelle, sont pressés, par leur nature même, et tenus, par obligation morale, à chercher la vérité, celle tout d'abord qui concerne la religion. Ils sont tenus aussi à adhérer à la vérité dès qu'ils la connaissent et à régler route leur vie selon les exigences de cette vérité. » Dignitatis Humanae 2
Donc tant qu'un homme est un homme il garde sa dignité humaine en tant qu'il est une personne, c'est-à-dire un homme doué d'inteligence et de volonté. Un assassin commet un acte morale mauvais grave, mais il ne cesse pas d'être un homme, même s'il est un homme coupable.
De plus, comme le rappelle saint Thomas d'Aquin, « il est dit dans la Genèse (Gn 1,27): " Dieu créa l'homme à son image. " Or, c'est par son âme que l'homme est à l'image de Dieu. » I 90,2
La dignité de la personne vient donc essentiellement de l'âme, même si l'homme est indivisiblement âme et corps, ce sont bien l'intelligence et la volonté qui font sa ressemblance avec Dieu. Il est ainsi plus important pour l'homme de conserver le bien de l'âme que celui du corps. Le Seigneur le souligne quand il nous avertit : « Je vous le dis à vous, mes amis: Ne craignez rien de ceux qui tuent le corps et après cela ne peuvent rien faire de plus. Je vais vous montrer qui vous devez craindre: craignez Celui qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter dans la géhenne; oui, je vous le dis, Celui-là, craignez-le ». Lc 12,4 Par conséquent mieux vaut que le corps périsse afin de sauver l'âme plutôt que l'inverse. Le condamné à mort peut avoir un déclic salutaire à cause de l'imminence de la fin, là où celui qui a encore quarante années de vie devant lui, serait-ce en prison, peut repousser aux calendes grecques une éventuelle conversion en vue du salut éternel.
Cette perspective de la vie dans l'au-delà nous amène à prendre en considération une dernière chose concernant la dignité de la personne. Ceux qui seront jetés dans la Géhenne perdront-ils leur dignité humaine ? Selon l'acceptation classique de l'Eglise il faut répondre par la négative, car l'essence de l'homme et par conséquent sa dignité ne peuvent pas disparaîtrent tant que l'homme existe. Et l'homme sauvé ou damné existe encore dans l'éternité. Cela signifie que Dieu lui-même qui permet que des personnes humaines soient condamnées à la peine du dam éternel, à cause du mauvais usage de la liberté provenant justement du privilège de la personne, accepte que malgré cette dignité humaine, qu'il a voulu et créée, une punition pire que la peine capitale, celle qui met fin à la vie du corps soit appliquée, celle de la mort et du corps et de l'âme. « Ne craignez rien de ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l'âme; craignez plutôt Celui qui peut perdre dans la géhenne à la fois l'âme et le corps. » Mt 10,28 Saint Thomas fait d’ailleurs une analogie directe entre la peine de mort terrestre et la peine du dam : « cette peine représente à sa manière l'éternité du châtiment divin ». (I-II,87,3)
Comment s'étonner que le pape François s'imagine l'enfer vide. C'est logique. Il est inadmissible que la justice divine permette que des personnes faites à son image subissent la peine capitale de l'âme, s'il est inadmissible que la justice humaine permette la peine capitale du corps, au nom de la dignité de l'homme.
Dans la théologique morale classique il existe deux autres cas, en plus de la peine capitale, où l'homicide est permis, la légitime défense et la guerre. Va-t-on dire que la dignité humaine de l'agresseur qui met en danger votre vie personnelle ou bien celle d'une nation entière empêche toute réaction pour sauvegarder une ou des millions de vie ? Non pas. La dignité de l'homme demeure malgré le péché, malgré le mal commis, car elle n'est pas fondée sur les actes mais sur l'essence de l'homme. Tout permettre au nom de la dignité de l'homme revient à abdiquer toute justice, toute loi, toute règle et à accepter tout le mal actuel possible sans aucune sanction à la hauteur de la faute.
La dignité humaine réside justement dans la liberté de faire le bien et d'éviter le mal, ce qui implique une responsabilité. L'homme doit donc rendre compte de ses actes librement posés. En commettant un meurtre, l'homme choisit librement d'enfreindre le sixième commandement divin. Il use de ce qui fait sa dignité de personne. Il ne la perd pas mais il s'en sert mal. L'argument de la dignité humaine n'est par conséquent pas convainquant pour supprimer la peine capitale. Dire avec le pape François que « la peine de mort est inadmissible, car elle attente à l’inviolabilité et à la dignité de la personne» ne semble pas un argument suffisant. Remarquons que le pape ne dit pas que c'est immoral ou un mal intrinsèquement mauvais, car cela contredirait l'enseignement des plus grands théologiens et de deux mille ans de tradition doctrinale. Il dit juste « inadmissible », c'est-à-dire intolérable, pas acceptable.
Dans le même paragraphe il affirme que « Quels qu’en soient les modes d’exécution, cette peine «implique un traitement cruel, inhumain et dégradant».
Est-il plus cruel et dégradant de mourir en une fraction de seconde par la guillotine que de croupir pendant des années entassé dans une cage comme on le voit actuellement dans les prisons du Nicaragua les membres des gangs des « maras »? Le seul argument qui nous paraisse raisonnable en faveur de l'abolition de la peine de mort est celui avancé par saint Jean-Paul II qui consiste à dire que dans l'ambiance de culture de mort actuelle, on évite au maximum d'augmenter le nombre de personnes mises à mort. Mais il ne faut pas oublier de distinguer que la mise à mort d'un coupable n'est pas équivalent à la mort d'un innocent. Seul celle-ci est dégradante, cruelle et inhumaine.