Comment s’étonner que dans une église constituée principalement de têtes grises, avec une majorité de femmes, ayant toutes été jeunes adultes en pleine tourmente soixante-huitarde, ayant subi le matraquage existentialiste sartrien, le féminisme beauvoirien, le marxisme triomphant et abreuvés par cinquante ans de progressisme issu de textes conciliaires mal compris car jamais lus, on en arrive à une nouvelle église qui ne manque pas de nous rappeler celle évoquée par la bienheureuse Anne-Catherine Emmerich dans sa vision des deux papes, à laquelle nous avons déjà consacrée deux analyses.
Dans la nouvelle église décrite par la bienheureuse Emmerich, chacun adore sa propre idole qui sort de sa poitrine, c'est-à-dire nous dit-elle chacun adorait «sa pensée intime, la passion qui l’animait». Les fidèles se font ainsi leur propre doctrine. Ils sont leur propre magistère. Ils se bâtissent une religion individuelle allant dans le sens de leurs convictions personnelles, de leurs goûts, de leur intérêt immédiat. On devient son propre ministre. Il n'y a plus d'intermédiaire entre Dieu et les hommes. Le prêtre médiateur qui offre le sacrifice pour le peuple n'est plus nécessaire. On rejette tout ce qui a trait à la hiérarchie, à l'autorité, à la médiation. On ne veut plus obéir à des supérieurs, ni recevoir un enseignement qui vient d'en-haut ou de l'extérieur.
Cela nous rappelle ce que disait un prêtre référant du catéchisme dans un collège catholique lors de la réunion bilan de fin d'année: «nous ne sommes pas là pour transmettre un savoir sur Dieu, nous sommes là pour faire ressortir le Dieu présent en chacun d'entre eux». Cela s'appelle l'immanentisme, et il s'avère que c'est un des piliers de la doctrine moderniste selon l'analyse qu'en a fait saint Pie X dans son incontournable encyclique
Pascendi Dominici Gregis.
Cette tendance correspond également à la pédagogie actuelle qui veut mettre l'enfant au centre de son apprentissage pour que l'enseignant, ou le sachant, ne soit plus au dessus de lui. Il sait, mais il ne doit pas transmettre un savoir, cela serait autoritaire et humiliant. Il est là pour faire en sorte que l'apprenant apprenne tout seul dans une sorte de réminiscence platonicienne, où l'on fait surgir des idées enfouies, en nous, déjà là, au contact du professeur qui lui ne transmet rien.
Ce refus de commandement, du supérieur, de l'obéissance à une autorité, est une sorte de «non serviam» de l'ange déchu, nourri par un orgueil démesuré. Et justement saint Thomas nous dit que «L'orgueil est toujours contraire à l'amour de Dieu, car l'orgueilleux ne se soumet pas à la règle divine comme il le doit. Parfois aussi il est contraire à l'amour du prochain, quand on se place, de façon désordonnée, au-dessus du prochain, et qu'on se soustrait à la sujétion qu'on lui doit. En cela aussi on déroge à la règle divine qui a établi une hiérarchie entre les hommes, certains devant être soumis à d'autres». (II-II,162,5,sol). La vision des deux papes déclare en ce sens: « j’y vis concourir toute sorte de personnes et de choses, de doctrines et d’opinions. Il y avait, dans tout cela, quelque chose d’orgueilleux, de présomptueux, de violent». Refuser la hiérarchie, c'est refuser la façon dont Dieu conduit l'Eglise. Comme le disait le pape François c'est là «le style de Dieu», sauf que lui parlait de la synodalité, qui elle contredit la façon dont Dieu gouverne toutes choses.
Contrairement à ce que pense les zélotes synodaux, ce n'est pas le cléricalisme le problème. Car le cléricalisme, qui est l'immiscion du clergé dans les affaires politiques, n'a rien à voir avec les reproches faits au clergé. Ce qu'on reproche à l'église, dans le prisme déformant soixante-huitard, c'est la notion mal comprise de hiérarchie, impliquant l'autorité et le pouvoir qui va avec. Or le pouvoir est la notion clé pour comprendre l'essence du sacerdoce. Toujours selon notre docteur commun de l'Eglise, «le sacrement de l'Ordre consiste avant tout dans la remise d'un pouvoir». (De l'Ordre, Qu.34, a.4, concl.), et ailleurs selon la définition du Maître des Sentences: "L'ordre est un signe par lequel l'Eglise confère un pouvoir spirituel à celui qui est ordonné". Contrairement au caractère qui est un pouvoir spirituel que donne le sacrement du baptême à tout baptisé en vue de l'effet principal qui est la purification de l'âme et qui «imprime le pouvoir de recevoir les autres sacrements», le sacrement de l'Ordre lui «implique principalement le pouvoir». Ce pouvoir n'est pas un pouvoir de despote mais un pouvoir au service des autres.
Saint Thomas précise que « La sujétion de l'esclavage est assurément incompatible avec la liberté; elle se réalise lorsque celui qui commande utilise ses subordonnés à son profit. Et ce n'est pas cette soumission qu'exige l'ordre: le chef doit chercher le salut de ses subordonnés, non son intérêt propre».(Qu.34,a.1, sol.1) et encore: «Ce n'est pas une personne, mais toute l'Eglise que l'ordre a pour but de guérir. Aussi, dire que l'ordre est l'antidote de l'ignorance ne signifie pas que celui qui reçoit ce sacrement est par là même délivré de l'ignorance, mais qu'il est préposé pour délivrer de l'ignorance la foule des fidèles». (Qu.35,a.1, sol.1).
Certes de ce pouvoir découle une supériorité et un degré de hiérarchie qui est constitutif du sacrement de l'Ordre. Mais ce pouvoir donné est avant tout une charge, un ministère, un service. Le prêtre doit donc montrer l'exemple pour élever les âmes vers la sainteté: «Ceux qui reçoivent le sacrement de l'ordre sont, de ce fait, établis au-dessus du peuple; ils doivent donc aussi être les premiers par le mérite de leur sainteté. En ce sens, il faut supposer chez les ordinands la grâce, qui leur mérite d'êtres comptés au nombre des fidèles du Christ, mais, en recevant l'ordre, ils reçoivent un don de grâce plus abondant, qui les rend capables de plus grandes œuvres». (Qu.35,a.1, sol.3)
On n'a pas attendu les scolastiques pour apprendre que l'Eglise est une société hiérarchique dans son essence, qui comme toutes les société humaines, fonctionne selon le mode d'être de Dieu lui-même. Saint Paul disait dès la fondation de l'Eglise : « Que chacun se soumette aux autorités en charge. Car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constituées par Dieu. 2 Si bien que celui qui résiste à l'autorité se rebelle contre l'ordre établi par Dieu». (Ro., 13,1-2)
Saint Thomas adaptera bien plus tard ces paroles au sacrement de l'Ordre : « il est dit dans l'épître aux Romains: "Ce qui vient de Dieu est ordonné". Mais l'Eglise est de Dieu: il l'a édifiée par son sang. Il doit donc y avoir un ordre dans l'Eglise. Puis, l'Eglise représente l'état intermédiaire entre l'état de nature et l'état de gloire. Dans la nature il y a un ordre: certaines créatures sont supérieures à d'autres. Dans la gloire il en est de même, comme le prouve la hiérarchie angélique. Conclusion: Entre ses œuvres et lui, Dieu a voulu pousser la ressemblance aussi loin que possible, pour les faire parfaites et pouvoir, par elles, être connu. Afin donc de manifester dans ses œuvres non seulement les perfections de son essence, mais celles de son action sur les créatures, il a imposé à tout être cette loi de nature: les êtres inférieurs seront conduits à leur perfection par des êtres intermédiaires; ceux-ci à leur tour par des êtres supérieurs; tel est l'enseignement du Ps Denys. Pour que cette harmonie ne manquât pas à l'Eglise, il établit un ordre en elle: certains dispenseraient les sacrements aux autres, en cela imitant Dieu à leur manière, collaborant en quelque sorte avec Dieu; ainsi dans le corps vivant certains organes ont aussi une influence sur les autres.» (Qu.34, a.1, sed contra)
Dans la vision d'Anne-Catherine Emmerich, le pape qui a favorisé la montée de la nouvelle église est remplacé par un nouveau pape qui remettra l'Eglise catholique sur le droit chemin, qui « savait s’attacher les bons prêtres et repousser loin de lui les mauvais». L'ancienne église est préservée, la visionnaire vit «le secours arriver au moment de la plus extrême détresse» grâce à l'intervention de la sainte Vierge qu'elle vit «monter sur l’église et étendre son manteau». Marie protègera directement l'œuvre de son Fils. Ne peut-on pas interpréter ce passage en disant que malgré les nombreux cardinaux de tendance progressiste mis en place pendant le pontificat de François, le prochain conclave, ou l'un des prochains conclaves, puisque la vision des deux papes dit l'«un de ses successeurs», sera non seulement recouvert par les murs et le plafond de la chapelle Sixtine, mais aussi abrité sous le manteau protecteur de la Mère de Dieu, afin que l'un des prochains pontifes remette de l'ordre dans la doctrine et dans la gouvernance de l'Eglise et que le sacerdoce catholique soit gardé intact. De cette façon le très saint sacrement de l'autel restera vraiment le sacrement efficace et réel du salut des âmes.