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Pour le P. Garrigues, les quatre cardinaux qui ont adressé les cinq dubia, ou "doutes" sur l'orthodoxie doctrinale de certains points du chapitre VIII d'Amoris Laetitia du pape François, seraient les mêmes qui ont influencé les points rigides et durs de Veritatis Splendor, et qui auraient souhaité que l'encyclique aille encore plus loin dans ce sens là, ce qui aurait été le cas sans l'heureuse intervention de thomistes plus clairvoyants. Ces mêmes cardinaux sont comparés aux jansénistes, dont la soif de justice sèche et austère s'opposait à la théologie morale douce et miséricordieuse de saint Alphonse de Ligori.  Le P. Garrigues dénonce le "courant théologique tutioriste et rigoriste" de ces cardinaux qui "par malheur", "avait certes contribué à ce que à l'encyclique Veritatis Splendor vît le jour", et qui "s'est vite considéré indûment comme le dépositaire de celle-ci et de son interprétation authentique."  

   Quelques pages auparavant, dans son essai Pour une morale souple mais non sans boussole, le Père Garrigues avait déjà signalé la voie moyenne de Saint Alphonse de Ligori entre le tutiorisme rigoriste et le probabilisme laxiste, deux systèmes de morale condamnés par l'Eglise. Ainsi, lorsqu'il utilise les mots "rigorisme" et "tutiorisme" pour qualifier le courant auquel appartiendraient les quatre cardinaux, cela revient à les disqualifier de facto avant même tout débat. Ils sont forcément dans l'erreur puisqu'ils sont plus ou moins jansénistes. Car le tutiorisme absolu ou rigoriste, est grosso modo synonyme de jansénisme. Ce système veut que dans le doute on choisisse toujours le parti le plus sûr qui favorise la loi. Mais il existe un tutiorisme mitigé qui est autorisé, celui qui affranchit de la loi quand l'opinion favorable à la liberté est très probable. L'équiprobabilisme de Ligori permet de suivre une opinion plus probable quoi que moins sûre. Dans ce système plus souple, on a le droit de suivre le parti sérieusement probable alors que la parti opposé serait plus probable, exception faite pour trois cas où l'on est obligé de suivre le parti le plus sûr.  
On n'est donc pas obligé de suivre le tutiorisme mitigé, c'est-à-dire l'opinion la plus sûre, sauf s'il s'agit d'une vérité de foi nécessaire au salut; de la validité d'un sacrement; et pour finir de la vie ou des intérêts graves du prochain. Le fait de vivre dans une situation de désordre qui coupent de la grâce sanctifiante et qui empêche l'accès aux sacrements du salut n'entre-t-elle pas dans ces trois cas de figure?   
  De plus recourir à Alphonse de Ligori pour défendre le chapitre VIII d'Amoris Laetitia semble un peu incongru quand on sait que toute sa doctrine de direction spirituelle avait pour but de conduire les âmes au salut: " Désirant plutôt apporter quelque chose qui serve à sauver des âmes, j’ai pensé choisir seulement ces questions qui me paraissent les plus profitables dans ce domaine et celles que j’estime nécessaires à la bonne pratique (de la vie chrétienne) ». Raphael Gallagher commente ce passage dans son L'actualité de la théologie morale de saint Alphonse de Liguori : le « péché fondamental consiste à refuser d’aimer le Dieu qui nous avait montré tant d’amour », « Pour Alphonse, la satisfaction est intimement liée à l’éveil du désir intense de répondre à l’amour de Dieu (une grâce accessible à tous ceux qui recherchent Dieu sincèrement dans la prière) ». Il en conclut que : « Ce qui caractérise le plus les Rédemptoristes – prêcheurs du Dieu de la beauté – dans leur apostolat de conversion missionnaire, c’est le désir d’encourager les fidèles à restructurer profondément leur vie personnelle ».    
 Le même auteur précise que « Epikeia signifie une exception au cas (de la loi générale) lorsque, dans une situation donnée, on peut juger avec certitude, ou du moins avec une grande probabilité, que le législateur ne voulait pas inclure un tel cas dans la loi. (…) Cette epikeia trouve son application non seulement dans les lois humaines, mais aussi dans les lois naturelles, lorsqu’une étude des circonstances révèle que l’action est dépourvue de malice ». 
 Cela est a rapproché de ce que saint Jean-Paul II enseignait dans Veritatis Splendor en critiquant la théologie de l'option fondamentale qui dissociait les actes particuliers de «l'option » ou du choix général de type de vie que l'on entend mener : "De semblables théories ne sont cependant pas fidèles à la doctrine de l'Eglise, puisqu'elles croient pouvoir justifier, comme moralement bons, des choix délibérés de comportements contraires aux commandements de la Loi divine et de la loi naturelle. Ces théories ne peuvent se réclamer de la tradition morale catholique : s'il est vrai que celle-ci a vu se développer une casuistique attentive à pondérer les plus grandes possibilités de faire le bien dans certaines situations concrètes, il n'en demeure pas moins vrai que cette façon de voir ne concernait que les cas où la loi était douteuse et qu'elle ne remettait donc pas en cause la validité absolue des préceptes moraux négatifs qui obligent sans exception. Les fidèles sont tenus de reconnaître et de respecter les préceptes moraux spécifiques déclarés et enseignés par l'Eglise au nom de Dieu, Créateur et Seigneur".   Le recours à saint Alphonse dans le cas d'une nouvelle union more uxorio alors que la première serait valide, ne sert à rien. Car, il n'y a pas de doute à avoir sur un cas de figure qui contredit le 6ème commandement divin, précepte négatif qui oblige sans exception. Ce n'est pas vouloir restructurer profondément sa vie pour plaire à Dieu que de s'installer dans une situation d'adultère.    
Terminons au sujet de saint Alphonse en précisant que ce saint mettait en garde contre la ruse du démon qui utilise principalement l'abus de la miséricorde de Dieu pour perdre les âmes: "Pour tromper l’homme et le perdre éternellement, le démon emploie sans cesse deux ruses: Après le péché, il le pousse au désespoir en lui mettant sous les yeux la divine justice avec toutes ses rigueurs. Avant le péché, et pour l’y faire tomber, il excite dans son cœur une confiance excessive en la divine miséricorde. Cette seconde ruse lui réussit mieux que la première, et l’espoir du pardon perd beaucoup plus d’âmes que la crainte du jugement". Il ajoute ensuite: « Dieu est miséricordieux », telle est la réponse habituelle des pécheurs obstinés, quand on les presse de se convertir. Sans doute, Dieu est miséricordieux; mais il faut remarquer ce que dit la Sainte Vierge dans son cantique: « La miséricorde s’étend sur ceux qui le craignent »; en d’autres termes, le Seigneur use de miséricorde envers ceux qui craignent de l’offenser, mais non pas envers ceux qui comptent sur sa miséricorde pour l’offenser davantage". Saint Alphonse n'est pas pour trouver des prétextes et des excuses à des situations gravement désordonnées, il encourage plutôt au changement de comportement, à la conversion. 

 A en croire le Père Garrigues les rigoristes tutioristes ont tenté de forcer la main à saint Jean-Paul II dans la rédaction de Veritatis Splendor: "les tenants de cette école avaient pressé la pape avec insistance de définir dogmatiquement, c'est -à-dire dans une formulation de soi irréformable, quelques péchés déclarés "intrinsèquement mauvais" quelles que soient les circonstances de l'acte et l'intention du sujet. En tout premier chef venait "le meurtre de l'innocent", dans l'intention – en elle-même excellente – de fermer définitivement la porte à toute légitimation casuistique ultérieure de l'avortement."  Garrigues se félicite que Jean-Paul II n'ait pas fait un dogme des actes moraux intrinsèquement mauvais, mais il reconnaît tout de même leur réalité. Notre dominicain va se réjouir que des théologiens thomistes soient les responsables de cette heureuse décision, sans préciser toutefois que le concept même de mal intrinsèque n'a pas été inventé par le saint pape polonais mais qu'il en a repris l'idée chez saint Thomas d'Aquin lui-même. Curieux thomistes promptes à se dresser contre la pensée de leur maître!  En effet nous retrouvons par exemple ce concept dans la Somme Théologique (I-II, 103,4 concl.) et dans le De Malo: "Aussi faut-il dire en général que certains actes humains sont en eux-mêmes bons ou mauvais" (quosdam actus esse per se bonos, et quosdam per se malos) (qu.2, 4, concl.) certes, non pas avec la formule moderne "intrinsèquement mauvais", mais avec l'équivalent latin moyen-âgeux "per se malum", c'est-à-dire "mauvais en soi". Parlant de l'adultère, saint Thomas  utilise également la formule "secundum se est malum": l'adultère qui est un mal en soi" (I, 63, 1, ad.4). Dans un dictionnaire classique le mot "intrinsèquement" signifie "en soi, dans son essence". Il existe donc des actes qui en eux-mêmes, indépendamment des accidents, ou des circonstances, sont mauvais, et que rien ne rendra bons, ni l'intention , ni les circonstances. Les tutioristes rigoristes dont parlent Garrigues seraient-ils ainsi plus thomistes que les thomistes qu'il évoque juste après et qui ont avancé l'argument de la mort des civils innocents dans les justes guerres pour faire renoncer Jean-Paul II à faire de l'acte intrinsèquement mauvais une vérité dogmatique: "Heureusement des théologiens thomistes firent aussitôt remarquer en haut lieu que la doctrine catholique de la légitime défense et de la guerre juste, laquelle comporte la possibilité de dégâts collatéraux" prévisibles...". Nous y reviendrons plus loin.

  Mais revenons à la notion de circonstance. Est-il possible qu'un acte mauvais en soi ne dépende pas des circonstances qui entourent cet acte? 
Cela semble aller contre ce que dit saint Thomas dans ce passage du De Malo: "Si donc on considère un acte mauvais en soi, par exemple le vol ou l'homicide, tel qu'il existe dans la faculté de connaissance selon sa raison formelle, alors c'est en lui que la raison de mal se trouve originairement, parce qu'il n'est pas revêtu des circonstances requises; et du fait même qu'il est un acte mauvais, c'est-à-dire privé de la mesure, de la forme et de l'ordre qui sont requis, il a raison de péché; en effet, ainsi considéré en lui-même, il se présente à la volonté comme son objet, en tant qu'il est voulu."
 Selon lui, l'acte n'est pas mauvais en soi à cause des circonstances, mais parce qu'il manque de mesure et d'ordre: le "c'est à dire privé..." établit une équivalence entre acte mauvais et la privation de mesure, de forme et d'ordre. Par contre l'acte a raison de mal dans la faculté de connaissance à cause de défauts dans les circonstances. Cela montre qu'un acte mauvais en soi en fait ne dépend pas des circonstances, un acte est mauvais en soi à cause de l'objet de l'acte, de son essence. Mais il n'est pas impossible qu'un acte qui est mauvais en soi objectivement, en tant qu'acte extérieur concrètement achevé, n'ait pas du côté de l'agent, de celui qui fait cet acte, raison de péché. Saint Thomas donne dans la Somme l'exemple de celui qui tire une flèche et qui touche un passant qu'il ne voyait pas. Ou celui qui se met au lit dans la pénombre et s'unit avec une femme qu'il croit être la sienne. Dans ces cas d'ignorance invincible, la raison propose à la volonté un objet qui, étant donné , la circonstance n'est pas imputable à l'auteur de l'acte. Il n'en reste pas moins que du côté de l'exécution de l'acte, cet acte reste un acte mauvais en soi. On peut donc affirmer qu'un acte mauvais en soi ne dépend pas des circonstances.    
 Certes Saint Thomas dit également qu' " une circonstance surajoutée à l'objet qui spécifie cet acte, peut ensuite être considéré comme une des conditions principales de l'objet qui détermine l'espèce de l'acte". Dans ce cas la circonstance conditionne l'essence de l'acte et lui donne une forme particulière. Nous savons qu'un acte bon doit se régler sur la raison qui est comme le reflet de la loi divine. Or la raison peut déterminer les conditions de temps ou de lieu d'un acte. Ces conditions peuvent être contraires à l'ordre voulu par la raison par rapport à l'objet de l'acte.  Cet ordre voulu par la raison "interdit par exemple de profaner un lieu saint. Par suite, voler quelque chose dans un lieu saint ajoute à l'acte une opposition spéciale avec l'ordre de la raison". (18,10). Dans le cas de l'adultère, le mal vient non pas du genre, car tout animal se reproduit dans l'union sexuelle et en tire une jouissance sensible. Il vient de l'espèce qui fait que l'homme animal raisonnable est homme en tant qu'homme par sa raison. Et cette particularité fait que tous ses actes doivent se rapporter à sa raison qui est sa règle. Or dans l'adultère, la règle n'est pas suivi car l'acte est dans son essence une grave injustice commise au prochain, une fornication car une jouissance recherchée en dehors du mariage et une désobéissance au commandement divin. Il n'y a ni la mesure, ni la forme ni l'ordre requis pour que l'acte soit bon.  S'unir a sa femme ou à celle d'un autre sont des actes spécifiquement différents: l'un est bon en soi, l'autre mauvais en soi. Aucune circonstance de temps, de lieu, de rang social, ne pourrait enlever cette injustice, elle ne pourra que l'aggraver: commettre un adultère dans un lieu saint, qu'il soit en plus un inceste, tuer un prêtre est plus grave que de tuer un laïc, etc... Le temps, le lieu, le nombre, ne peuvent rendre bon le grave désordre et le manque de forme de l'adultère. Loin de rendre bon un acte mauvais en soi, elle en augmente la malice.      
  Pour saint Thomas également, puisque la circonstance est comme un accident de l'acte, elle ne fait pas partie de son essence. L'essence de l'acte, c'est son objet. Dans le thomisme, c'est l'objet qui spécifie l'acte, qui fait qu'il est tel acte et non tel autre, et qui le rend bon ou mauvais. 
 Cela dit, une circonstance, même si elle est un accident, elle participe à la bonté de l'acte: "Cela résulte de ce que l'acte moral, comme nous l'avons dit, reçoit sa bonté non seulement de l'objet qui le spécifie, mais encore des circonstances qui en sont comme les accidents; ainsi telle chose convient comme accident à un homme particulier, qui ne convient pas à l'homme pris selon son espèce. Il faut même que tout acte individuel ait quelque circonstance tirée au moins de la fin, objet de l'intention, qui le rende bon ou mauvais. En effet, la raison ayant pour objet de disposer adéquatement les actes délibérés, tout acte, par cela seul qu'il n'est pas rapporté à la fin voulue, contredit la raison et devient mauvais. S'il est rapporté à la fin voulue, il est conforme à la raison, et par conséquent doté de bonté morale"( 18, 9)  Il faut par conséquent que les circonstances suivent la règle de la raison dans les cas particuliers. Dans le cas de l'adultère, cela n'est pas vrai. S'unir à une personne déjà validement mariée à une autre contredit la règle de la raison et de la loi divine, et cela est valable pour tous, et non pour quelques personnes particulières.  
   
Le Père Garrigues reproche aux cardinaux d'isoler l'acte intrinsèquement mauvais de toute finalité. A moins de prendre le mot comme une finalité surajoutée à la finalité première, donc une finalité ultérieure et seconde, on ne voit pas comment l'acte mauvais en soi est à prendre en dehors de toute finalité. Peut-être veulent-ils dire que les bonnes intentions ne suffisent pas à paver les routes qui mènent à l'enfer? Etre installé dans une situation désordonnée, c'est-à-dire d'adultère permanent – peut s'expliquer de nombreuses manières et avec de bonnes intentions: aider une personne seule, s'occuper d'enfants, trouver un équilibre psychologiques, assouvir ses pulsions, etc, ... 
Dans le thomisme, l'intention est autre chose. L'intention c'est le mouvement de la volonté vers un bien, dans l'espoir de se reposer dans l'objet désiré et dans jouir. Volition, jouissance, et intention sont trois aspects différents d'une même chose. La volonté "tend vers quelque chose" par une attraction d'un bien proposé par la raison. Si ce bien ou cet objet n'a pas les circonstances voulues, ni la mesure, la forme et l'ordre requis par la raison, c'est un acte mauvais en soi. 
 Saint Thomas distingue plusieurs cas pour savoir si la mal se trouve d'abord dans la volonté ou dans l'acte extérieur, selon ce qu'on prend en compte;: soit l'acte de connaissance ou l'exécution de l'œuvre.  
"Si donc on considère un acte mauvais en soi, par exemple le vol ou l'homicide, tel qu'il existe dans la faculté de connaissance selon sa raison formelle, alors c'est en lui que la raison de mal se trouve originairement, parce qu'il n'est pas revêtu des circonstances requises; et du fait même qu'il est un acte mauvais, c'est-à-dire privé de la mesure, de la forme et de l'ordre qui sont requis, il a raison de péché; en effet, ainsi considéré en lui-même, il se présente à la volonté comme son objet, en tant qu'il est voulu. Or, de même que les actes sont antérieurs aux puissances, de même les objets sont antérieurs aux actes; aussi la raison de mal et de péché se trouve t-elle originairement dans l'acte extérieur considéré de cette façon, plutôt que dans l'acte de volonté, mais la raison de faute et de mal moral reçoit son achèvement du fait que l'acte de volonté vient s'ajouter et, à ce point de vue d'achèvement, le mal de la faute se trouve dans la volonté."(De Malo, qu.2, art.3)  Il termine en disant: "La raison pour laquelle nous avons dit que le mal se trouve d'abord dans l'acte extérieur plutôt que dans la volonté, si on considère l'acte extérieur dans la faculté de connaissance, et que c'est l'inverse si on le considère dans l'exécution de l'œuvre, c'est que l'acte extérieur se rapporte à l'acte de la volonté comme un objet qui a raison de fin; or la fin est postérieure dans l'être, mais première dans l'intention."  
Si je veux commettre un adultère, l'objet que je me propose est une jouissance sexuelle, non seulement en dehors du mariage, mais avec la femme ou le mari d'une autre personne. La fin que vise l'intention est un acte extérieur désordonné qui va rendre la volonté qui s'y porte mauvaise. Rien ne sert de dire que l'acte est mauvais en soi quelque soit l'intention, car précisément, l'intention vise ici un objet corrompu. L'acte est mauvais en soi parce que l'intention se porte sur un objet mauvais en soi. Une telle intention ne peut pas être bonne. Et comme l'intention est au cœur de l'acte thomiste, une intention traverse l'acte tout entier et l'entache de malice. L'intention ne peut pas être bonne dans le cas d'un adultère puisque l'objet est ce qui spécifie l'acte dans le thomisme. Il n'est pas permis dans ces conditions de vouloir faire le mal pour qu'en sorte un bien. Ajoutons pour terminer sur ce point que l'intention même seconde serait mauvaise, puisque l'intention première vise une fin mauvaise, vers laquelle la volonté accepte de tendre en voulant accomplir un acte extérieur contredisant le règle de la raison.     

   Pour ce qui concerne le meurtre de l'innocent dans un conflit armé nous avons déjà expliqué, en reprenant l'argumentation même du P. Garrigues, que dans un acte il peut y avoir deux effets, l'un voulu et l'autre non. Et comme justement, l'acte reçoit sa qualité de bon ou de mauvais par son objet, et c'est cet objet qui meut la volonté, et "le mouvement de la volonté reçoit raison de mal de ce qui la meut." Dans l'acte mauvais en soi, l'acte intérieur est mauvais à cause de l'acte extérieur. De plus "si c'est le bien et le mal dépendent de l'objet, et si c'est l'intention qui se porte vers lui, c'est nécessairement elle qui oriente d'abord l'action vers le bien ou vers le mal." Si la volonté ne se porte pas vers un objet mauvais, l'acte ne sera pas mauvais. Dans le cas de la guerre juste, l'acte vise la défense du pays et des concitoyens, et tuer un soldat agresseur n'est pas le meurtre d'un innocent. On ne peut pas ne pas défendre des innocents en sachant que certains autres innocents vont peut être mourir par ricochet s'ils se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment. Tout comme, un chirurgien ne peut pas ne pas opérer quelqu'un pour le sauver pour la raison qu'il pourrait le faire mourir par cette même opération. La mort d'un innocent dans une guerre est un mal en soi, mais du côté de l'agent ce mal n'est pas imputable. Son acte en tant que raison formelle n'est pas mauvais car il n'y a pas d'intention de tuer, il y a même ignorance invincible, "cause pure et simple d'involontaire", comme dans le cas de l'archer qui tire sa flèche pensant être seul dans la campagne. 
Nos défenseurs d'Amoris disent que la notion de juste guerre fut remise en question par la notion de péché intrinsèquement mauvais à cause des bombardements qui tuent les civils innocents. Mais ils oublient que c'est le meurtre de l'innocent qui est intrinsèquement mauvais, pas la mort de l'innocent, qui est malgré tout un mal. Mourir d'un accident de la route n'est pas un mal intrinsèquement mauvais. Mourir à cause d'une brique qui vous tombe sur la tête non plus. A moins que un pilote cherche sciemment à toucher des civils en lachant sa bombe, il ne commet pas de meurtre, car un meurtre implique une décision volontaire.   

 Le dernier argument contre les tutioristes rigides concerne l'opposition intransigeante à toute forme de contraception artificielle, opposition qui "défie parfois le sens commun". Passons sur le fait que cette expression de "sens commun" ne signifie pas dans le thomisme authentique le "bon sens" dont parle ici le P. Garrigues, mais est injurieux pour les saints papes Paul VI et Jean-Paul II qui sont visés par ce qu'il écrit ensuite à propos des religieuses missionnaires exposées au viol dans certaines régions en guerre ayant pris la pilule:  "D'après eux, toute relation sexuelle doit, de soi et quelles qu'en soient les circonstances, rester ouvertes à la fécondité, car Dieu peut vouloir faire venir une nouvelle âme à la vie même pour un viol". Certes le P. Garrigues ne cite pas ces deux papes pour critiquer cette position radicale, car il n'a pas dû trouver grand 'chose pour étayer son argumentation. 
 Il renvoie à une déclaration de Benoît XVI concernant le cas d'hommes prostitués voulant éviter de propager le sida. Ceci va dans le sens de ce que disait Paul VI: "En vérité, s'il est parfois licite de tolérer un moindre mal moral afin d'éviter un mal plus grand ou de promouvoir un bien plus grand..."mais il ne faut pas oublier de citer la suite du passage: "il n'est pas permis, même pour de très graves raisons, de faire le mal afin qu'il en résulte un bien (Cf. Rm 3,8), c'est-à-dire de prendre comme objet d'un acte positif de volonté ce qui est intrinsèquement un désordre et, par conséquent, une chose indigne de la personne humaine, même avec l'intention de sauvegarder ou de promouvoir des biens individuels, familiaux ou sociaux. C'est donc une erreur de penser qu'un acte conjugal rendu volontairement infécond et, par conséquent, intrinsèquement déshonnête, puisse être rendu honnête par l'ensemble d'une vie ) conjugale féconde". (Humanae Vitae, 14)  Qu'une personne déjà gravement dans le péché, utilise un préservatif, ajoutera un acte désordonné à un acte encore plus désordonné mais au moins parallèlement il préservera éventuellement la vie de l'autre personne. Il y aura bien un moindre mal concernant ce dernier point, ce qui n'enlèvera pas la mal intrinsèque commis dans la prostitution et un acte contre nature. Le cas des religieuses est assez différent. Elles ne commettent aucun mal en étant victimes. Elles n'ajoutent pas un moindre mal à un autre mal plus grand en utilisant un moyen de contraception. Elles sont innocentes et subissent un cas de dégât collatéral de guerres souvent injustes. Certes, l'acte n'est pas conjugal puisqu'il n'y a pas mariage, mais il est ordonné malgré tout à la vie puisqu'il peut déboucher sur une naissance. De la même façon qu'une fornication, un adultère, une union libre peuvent transmettre une vie que Dieu accueillera malgré son aversion pour ces situations de conception. Utiliser le préservatif empêche cette vie possible. Dieu peut en effet vouloir une naissance malgré un viol. Il ne le veut pas de volonté antécédente mais conséquente, car il ne souhaite pas voir des religieuses se faire violer. Mais il accepte que même du mal et du péché, puisse sortir un bien. Après tout, le P. Garrigues est là pour permettre à des divorcés remariés de "refaire leur vie" avec de nouveaux enfants. Ces enfants nés d'une union illégitime et désordonnée aux yeux de l'Eglise et de Dieu lui-même, en cas de premier mariage validement contracté, Dieu peut-il "vouloir faire venir une nouvelle âme à la vie" même dans une situation adultère? Oui, par volonté conséquente, mais pas par volonté antécédente, car Dieu ne cautionne pas l'adultère qui contredit son Etre et sa volonté. Il ne le veut pas du côté de sa volonté, mais il le permet en laissant l'homme agir selon la nature qu'il a lui-même instaurée, c'est-à-dire selon son libre arbitre. Il veut que se réalise ce que le libre arbitre de l'homme choisi comme acte volontaire.

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