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Le français est une langue riche et un même mot peut avoir plusieurs sens, surtout selon le contexte dans lequel il est utilisé. Ainsi dans le langage ordinaire le mot "nature" signifie communément, la faune et la flore, quand on dit qu'on aime la nature, on pense aux oiseaux, aux champs fleuris, aux ruisseaux, etc. Une autre acception courante est le tempérament d'une personne: "il est d'un impulsif naturel", "il est doux de nature". Cela renvoie à la naissance biologique et de l'héritage génétique. Par extension, la nature décrit le monde physique et ses lois fixes, objets d'observation, de démonstration, de calcul, et d'utilisation au profit de l'homme.

Ces derniers sens se retrouvent dans le vocabulaire de la philosophie d'Aristote, la nature, ou φυρίς, qui a donné le français "physique", c'est en premier lieu "la génération de ce qui croît"(1), "d'où procède ce qui croît (la semence)".

Dans un autre sens cela peut se dire de la matière dont on va pouvoir faire des objets artificiels, "la substance informe, et incapable de subir un changement par sa propre puissance". Ce sera aussi "la substance formelle des choses naturelles", c'est-à-dire de tout être provenant de l'union d'une matière et d'une forme. En ce sens est de l'ordre de la nature tout corps matériel, tout être observable du monde physique. Le mot "nature" chez Aristote peut donc se remplacer par d'autres mots clés de sa pensée, tels: substance, forme ou essence. L' être pour lui, c'est avant tout la substance (la chose dans sa profondeur d'être), dont l'essence indique ce qu'elle est. La forme, elle, détermine l'essence, en faisant de l'être, tel être particulier avec ses caractéristiques propres, tel l'artiste qui sculpte le bloc de marbre et donne à la matière telle forme spécifique et définie, comme un Hercule ivre ou une Aphrodite sortant du bain. C'est pour cela qu'Aristote dit à la fin de son enquête sur la substance qu'elle est finalement la forme, car connaître une chose, c'est connaître "la cause en raison de laquelle la matière est quelque chose de défini, et c'est cela qui est la substance de la chose".

Nous vivons donc en partie des termes aristotéliciens dans la vie de tous les jours, mais nous oublions que notre pensée philosophique et théologique a elle aussi hérité de ces concepts. Aussi quand le pape François a dit récemment à propos de l'épidémie du Covid-19, qu'elle était certainement une réponse de la nature, un catholique pourrait penser que le Vicaire du Christ faisait allusion à la nature au sens philosophique ou théologique et non au sens physique, et plus particulièrement à la nature en tant que biosphère. Le pape François est le pasteur suprêmes des âmes, le Souverain Pontife chargé de guider le troupeau vers le salut, le Premier Docteur dont la charge est d'instruire les fidèles pour qu'ils fassent la volonté du Père du Ciel sur la terre, mais c'est aussi le rédacteur de Laudato Si. Il est également le successeur de Pierre qui souhaite bientôt inviter les promoteurs de l'Ordre Mondial au Vatican le 20 mai prochain, celui qui veut dépasser les lumières et le positivisme pour instaurer une "révolution" en matière d'éducation mondiale, selon ses propres mots.

Il faut donc décrypter, la langage jésuitique du pape François, car dans sa bouche le mot "nature" n'est pas de la même nature que dans celle d'un Léon XIII par exemple. Quand le grand rénovateur du thomisme donnait cet avertissement: "Il n'est pas, en effet, au pouvoir des projets et des décrets de l'homme de changer le caractère et la forme que les choses ont reçus de la nature"(2), il ne pensait pas à l'écologie, mais à des domaines concernant directement le salut des âmes. Le passage en question visait un point précis qui ne peut pas rappeler un autre texte du pape François: " ceux-là comprennent-ils fort mal l'intérêt public, qui s'imaginent qu'on peut impunément pervertir la véritable notion du mariage, et qui, méconnaissant la sainteté du serment et du sacrement, semblent vouloir corrompre et déformer le mariage plus honteusement que les lois mêmes des païens ne l'ont fait".

La nature que défendait Léon XIII, c'était celle de l'essence de l'homme, celle de sa dignité de créature faite à l'image de Dieu, et non celle de Greenpeace.

M. Gilson, dans son admirable compendium posthume de ce qu'est la philosophie chrétienne, écrivait qu' "il est excessivement dangereux d'imaginer que, contrairement à la nature physique, la nature humaine et les sociétés humaines sont des créations libres de l'homme, et que par conséquent elles sont entièrement au pouvoir de l'homme. Le châtiment d'une telle erreur est terrible. Toute société qui méprise les lois fondamentales de la nature humaine et l'ordre établi par Dieu provoque sa propre destruction" (3). Voila ce qu'on aimerait entendre de la part du Saint Père. Dommage que ce soit à un laïc comme M. Gilson de le faire. La nature dont parle M. Gilson n'est pas une allusion à une nature physique presque panthéiste qui réagit comme un être intelligent et émotionnel qui défend sa propre vie, ou bien en limitant les errances de l'homme au seul domaine économique et écologique. Surtout maintenant qu'on s'achemine progressivement vers une cause humaine de la propagation du virus, les mots du pape vont paraître ridicules. C'est le mépris de l'homme pour la nature établie par Dieu, c'est-à-dire des êtres avec des essences définies, ayant des finalités déterminées, et son désir de la modifier qui apporte les grandes calamités. 

Certes, l'homme en tant que gérant de la planète se doit d'être vigilant dans sa gestion de l'environnement. Chambouler l'ordre écologique est un désordre qui se retourne nécessairement contre lui puisqu'il fait partie intégrante de ce système biologique. On ne peut pas déstabiliser l'ordre naturel établi au sens large sans que ce déséquilibre ne se fasse sentir d'une façon ou d'une autre, et que cela ne se retourne contre ceux qui en sont responsables. La nature a horreur du vide selon l'adage aristotélicien, mais la nature, pour un chrétien, est l'oeuvre de Dieu, une oeuvre faite avec sagesse, ordre, poids et mesure, et comme elle est ordonnée et soutenue par la sagesse éternelle, elle n'est jamais laissée dans un état défectueux et l'équilibre se refait inévitablement. Dans l'ordre moral, le déséquilibre qu'est le péché requiert un rétablissement par le pardon, le retour de la grâce mais aussi par une peine temporelle qui répare l'offense et les dégâts causés par le désordre du péché.

Ce n'est donc pas seulement l'environnement que l'homme abîme en refusant la notion de loi naturelle, elle-même l'expression de la loi Éternelle, c'est l'humanité dans sa finalité proche, mais surtout éloignée qu'il met en danger, en tournant le dos à la grâce qui mène à la vie éternelle. Comme l'écrivait Léon XIII, le salut des familles et de la société humaine n'est pas à demander au divorce (et à toutes les lois qui s'oppose au droit naturel), qui en est plutôt "la ruine certaine".

Certes, l'homme, en tant que gestionnaire et intendant d'une terre dont il est le sommet, seule créature voulue pour elle-même dans un monde physique où tout est ordonné pour son bien selon le plan du Créateur (4), se doit de préserver son environnement pour ne pas scier la branche sur laquelle il est assise. Sa gérance de la "maison commune" est un "munus"dans le double sens de don et de charge. Cependant, la défense de la nature en tant que reflet de la loi divine a un caractère plus impérieux et bien supérieur. On ne peut la défigurer, la combattre ou l'ignorer sans un retour de bâton immanent. Comme dit le dicton: "chasser le naturel, il revient au galop". Il faut ajouter: "lutter contre la nature, il y aura des conséquences désastreuses". Pourquoi? Parce qu'on ne peut s'éloigner de l'être tel qu'il est, qui est en même tant la bonté et la vérité, sans récolter le néant et le mal. Aller contre la nature, c'est s'opposer à l'instigateur de la nature qui est Dieu lui-même. Cela se nomme le péché en théologie, et le salaire du péché c'est la mort, selon saint Paul (5).


  (1) Métaphysique, livre Δ, 4 

 (2) Arcanum divinae sapientiae, 41  

(3) Eléments de Philosophie chrétienne, pp.463-464

(4) Vatican II, Gaudium et Spes, 12

(5) Épître aux Romains, 6, 23

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